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Barney Wilen & Alain Jean-Marie «Montréal Duets»

«Montréal Duets»
Barney Wilen & Alain Jean-Marie
Elemental Music-Distri Jazz

Si les nouveautés ne sont pas légion suite à l’épidémie de Covid 19, en voilà une dont la sortie n’est pas repoussée plus longtemps encore et elle sera l’une des plus importantes de l’année. Les amateurs de jazz connaissent depuis longtemps ces deux musiciens d’exception mais il n’est pas inutile de rappeler leur parcours aux non spécialistes.

Né à Nice en 1937 d’un père américain et d’une mère française, Barney Wilen fut emmené par ses parents aux Etats-Unis dès le début de la seconde guerre mondiale pour fuir le danger nazi. Très jeune, il commença à jouer du saxophone dans la fanfare de son école, ce qui lui donna quelques longueurs d’avance lorsque la famille rentra en France après la guerre. Alors qu’il n’était encore qu’un adolescent prenant Lester Young pour modèle, il monta à Paris sur les conseils de Blaise Cendrars, un ami de sa mère. Il fit sensation au “Tournoi des Amateurs“ 1953 où il remporta la “Coupe Cool“ et commença à enregistrer dès l’année suivante avec  des musiciens de renommée internationale (Roy Haynes, Jimmy Gourley, Henri Renaud, John  Lewis). Mais c’est l’année 1957 qui fut celle de son véritable envol. Il n’a que 20 ans mais signe son premier disque en leader (« Tilt ») et participe aux côté de Miles Davis à la musique du film de Louis Malle « Ascenseur pour l’échafaud » avant de faire une série de concerts avec le trompettiste. Sa précocité et son incroyable don pour l’improvisation vont le mener, dans les années qui suivent, aux côtés de Milt Jackson, Kenny Dorham, Duke Jordan, Art Blakey, Bud Powell, Dizzy Gillespie et tout le gotha du jazz de l’époque. Ce surdoué sera ensuite l’un des premiers français à tenter l’aventure du free jazz dans les années 60 et un défricheur tous azimuts la décennie suivante, faisant découvrir la musique africaine après plusieurs années passées sur le continent noir et avant de faire un bref flirt avec le rock. Il fera un retour au jazz retentissant dans les années 80 avec le mythique album « La Note Bleue » suivi de quelques autres chefs d’œuvre avant de quitter la scène définitivement en 1996, usé par un cancer. Il n’avait que 59 ans.

Alain Jean-Marie, né en 1945 à la Guadeloupe, est, comme Barney Wilen, un musicien qui respire le jazz naturellement. Après avoir quitté les Antilles pour le Canada, il s’installe définitivement à Paris au début des années 70 où il devient vite le pianiste avec qui tout le monde veut mieux jouer. Il croisera lui aussi au cours de sa carrière d’innombrables grands noms du jazz parmi lesquels Chet Baker, NHO Pedersen, Abbey Lincoln, Eddie Davis, Christian Escoudé et bien d’autres. Dans sa jeunesse, Barney était l’une de ses idoles et ce ne fut pas étonnant de le retrouver aux côtés du saxophoniste pour l’enregistrement de « La Note Bleue ». C’est à cette occasion qu’ils firent leurs premiers duos sur deux morceaux, Goodbye (de Gordon Jenkins) et le célèbre ‘Round About Midnight. Pour avoir produit la séance, je me souviens qu’une atmosphère presque magique s’était alors installée dans le studio et qu’on assistait à une rencontre qui ferait date. L’avenir le confirma puisque, outre les nombreux concerts qu’Alain fit au sein du quartet de Barney, les deux musiciens en firent un certain nombre en duo pendant une dizaine d’année. Le seul témoignage que nous avions jusqu’à maintenant de ces face à face était le disque « Dream Time » (Label Deux Z) enregistré en 1991 au festival de Cully (Suisse). Mais voilà qu’aujourd’hui l’intégralité des deux concerts qu’ils donnèrent au Festival de Montréal en 1993 (« Montréal Duets » / Elemental Music-Distri Jazz) est disponible grâce à Patrick Wilen qui avait précieusement gardé une copie DAT que son père avait fait faire sur la console de sonorisation, ce qui explique un son de grande qualité. Dans une relation presque télépathique les deux musiciens, aussi taiseux l’un que l’autre dans la vie, dialoguent dans la langue du cœur qui est la leur. Ils se connaissent tellement sur le bout des notes qu’une phrase de l’un engage l’autre sur une nouvelle piste avant de se retrouver sur des thèmes qu’ils ont joué des centaines de fois mais auxquels ils redonnent à chaque instant une nouvelle jeunesse. Pas de démonstration technique ni de virtuosité gratuite mais de la musique faite dans l’instant avec toute la fraîcheur que cela implique. Et dans cet exercice qui demande autant de respect de l’autre que de confiance en soi, on sent une immense affection mutuelle qui fait naître en nous un profond émoi.

Philippe Vincent

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