la cloche qui résonne

Vincent Martial "la cloche qui résonne"

Conception, interprétation : Vincent Martial, Musiciens : Pandelis Diamantides, Charles Bascou, Nicolas Canot, Bertrand Fraysse, Camille Emaille, Marc Siffert, Jean-François Oliver. Avec la participation de Jean-Kristoff Camps

Mazeto Square / Les Allumés du Jazz

Date de sortie: 13/06/2025

Bien du vent a soufflé depuis les « bruiteurs » de Luigi Russolo, le premier constructeur sérieux de « machines à bruit » (pour mémoire : hululeurs, grondeurs, crépiteurs, froufrouteurs, glouglouteurs, bourdonneurs, etc.). Vincent Martial a donc mis à l’épreuve son génie inventif pour concevoir et réaliser d’étonnantes machines, cordophones, instruments à vent et percussions, mais dont la recherche, dit Paula Vargas Murillo, est notamment « caractérisée par une exploration approfondie de l’air ». Non pas à la manière des expérimentations sur les souffleries d’un Thierry Madiot, mais en exploitant de surcroît ses possibilités non immédiatement sonores, ses vertus cinétiques par exemple. Ainsi, c’est par le truchement d’un courant d’air millimétriquement mesuré que sonnera un descendant bâtard de la trompette marine, lequel n’entretient pourtant qu’un lointain cousinage avec la harpe éolienne. On entendra ainsi le produit du croisement du tuyau d’orgue et de la flûte à coulisse, d’une sonnette associant saladiers chantants et micros-contacts, ou encore la version moderne et mécanisée de la feuille d’acacia que l’on maintenait, enfant, devant ses lèvres en soufflant. Un important recours à la robotique sur ces chimères bois-métal donne à ses créations un aspect indéniablement steampunk, pour autant sans la vapeur ni le chien. Il a eu recours pour celui-ci à la participation de six autres musiciens dont plusieurs percussionnistes aux parcours convergents associant musique contemporaine, musique électro-acoustique, création sonore pour le théâtre, concepteurs d’environnements sonores et de lutherie électronique, improvisateurs. Deux d’entre-eux sont par ailleurs associés au GMEA d’Albi (Fraysse) ou au GMEM de Marseille (Oliver) et La Muse en Circuit a prêté son concours. Autant dire que l’invitation qui leur a été faite de prendre possession de l’instrumentarium raffiné, voire même sophistiqué de Vincent Martial ne relevait en rien d’une jam-session de bricoleurs du dimanche : celui-ci a même eu les honneurs de la Tate Modern et du Musée Guggenheim de New York.

Ce projet s’est d’ailleurs réalisé en plusieurs temps après une première période d’acclimatation par des collaborations, d’abord deux à deux (Martial-Nicol, Martial-Oliver pour Turbulences), concentrées sur des instruments précis, puis progressivement étendues jusqu’à des formations plus étoffées qui ont pu comprendre des musiciens qui ne sont pas présents sur cet enregistrement de 2022 (Pandelis Diamantides, Charles Bascou, Nicolas Canot…). Cette création a reçu de nombreux concours par le biais de bourses, de mécénat, de participations à des festivals avant d’aboutir au présent enregistrement, aboutissement d’un long parcours qui ne résulte pas de la simple captation d’improvisations1 mais d’un travail d’écriture.

Les dix-sept pièces qui résultent de ce travail de longue haleine, enregistrées en 2022, soit deux ans après la restitution de la résidence de La Muse en Circuit, portent des titres figuratifs (Ballooning, Cri ferroviaire, The woodpecker and the metal tree…),typées extrêmement, par la matière (métal, peau), la mise en œuvre (raclement, zébrures, frappe, chocs, souffle), la mise en rythme (mécanique ou non), le milieu, l’élément suscité, convoqué, de manière concrète ou fantasmée. Mais l’assemblage de ces dix-sept pièces débouche in fine sur l’impression de feuilleter un catalogue d’effets. Pour intéressants que soient les sons exploités – et ils le sont –, d’être en quelque sorte énumérés, ils deviennent anecdotiques. Ceci est d’autant plus surprenant qu’en visionnant les diverses captations réalisées du work-in-progress – et notamment celle, initiale, de La Muse en Circuit –, mais aussi bien le film de la session qui a donné lieu à cet enregistrement, généreusement offert par le biais d’un QR code fourni avec le disque, on réalisera combien ces performances recélaient effectivement la matière organique dont ne nous est livrée qu’une perception stroboscopique. Un peu comme si d’un film nous n’avions accès qu’à une succession de photogrammes. Au vu de l’imagination dépensée, des moyens déployés, du soin porté à l’élaboration de ce projet et du temps consacré à sa mise en œuvre, le résultat – sous cette forme, soulignons-le – se tient en deçà du désir qu’il a pu susciter. Espérons l’édition en DVD d’une performance complète, peut-être moins parfaite aux oreilles d’un compositeur, mais plus vivante.

Philippe Alen

1Une bonne part des étapes de ce long cheminement a été filmée et rendue de ce fait facilement accessible, soit sur le site de Vincent Martial (https://vincentmartial.com/la-cloche-qui-resonne), soit sur celui de GMEA (https://www.gmea.net/evenement/la-cloche-qui-resonne) où l’on trouvera un concert entier donné à La Muse en Circuit en sortie de résidence le 20/11/2020.

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