Look North

Brunton / Beaussier / De Williencourt

Gary Brunton, (b), Daniel Beaussier (ss, bars, cl, bcl, fl, oboe, eng hn), Céleste De Williencourt (vcl, fl)

Juste une Trace

Date de sortie: 28/03/2025

Gary Brunton est un transfuge. Il a d’abord traversé le Channel en sens inverse de la route migratoire tristement célèbre, de l’Angleterre à la France, pour atterir au CIM une fois quitté Burnley, sa ville natale du Lancashire après un petit détour par le pays de Galles qu’il a salué par deux albums, Trên Dydd (2022)puis Gwawr (2024). C’est d’ailleurs au CIM qu’il a rencontré Bojan Z. et Simon Goubert avec qui il a formé le superbe trio Nightbus avec lequel il a enregistré deux disques pour Juste une Trace : Nightbus et Second trip). Si l’on peut deviner un certain goût du voyage au fil de compositions aux titres évocateurs, il aime également passer d’un genre à un autre, une pincée de pop ici ou de jazz-rock là, mais surtout changer de format, du big-band (Pee Wee) au trio de piano classique et à des formation chambristes plutot originales comme celle du présent album, tout cela sans se départir d’un jeu acoustique profondément ancré dans le jazz du meilleur aloi. De ses maîtres, entre autres Gary Peacock et Dave Holland, mais Ray Brown aussi bien, il a retenu justesse et articulation mais aussi une grande clarté jointe à un souci de la mélodie qui fait chanter ses lignes quelque soit le contexte. Les pièces en solo qui ponctuent la plupart de ses albums n’en sont d’ailleurs pas le moindre attrait.

Pour Look North, le voyage continue sur tous les plans. En suivant la boussole, ce périple imaginaire se double d’un permanent déplacement dans une forêt de timbres permise par le talent de Beaussier, en Fregoli des anches, joint à l’opportun dédoublement de sa comparse (voix et flûte) pour des arrangements iridescents. Quatorze pièces généralement brèves exploitent les nombreuses combinaisons possibles du polyinstrumentisme partout sollicité, et la voix elle-même joue de sa flexibilité en s’autorisant aussi bien les vols d’altitude d’un soprano libéré de ses jets que les bruits de bouche ou le format d’une simple chanson qui, à l’occasion, ne se refuse pas au français (Islande en vue, Berceuse de l’Heur). Signalons qu’un zeste d’électronique (non indiquée) rehausse en outre certaines pièces, qu’un tabla s’invite à la fête pour dédier un raga ou évoquer les jardins du Taj Mahal, et qu’enfin de discrets re-recordings se glissent clandestinement parmi les flûtes. À trois, ce n’est pas un frêle esquif qui nous embarque dans cette équipée. Avec une contrebasse qui compose une étrave à toute épreuve, joue le rôle d’une solide mâture et agit comme un gouvernail, les compositions présentent une voilure complexe et les vents peuvent souffler librement dans toutes les directions, même si le cap est imaginairement au Nord. Berceuse, vraie chanson déguisée en faux standard, formes libres, le périple entraîne d’une île à l’autre en évitant l’échouage sur les hauts-fonds de la joliesse et du décoratif. Il fallait pour cela une main habile à exploiter la manoeuvrabilité d’un si beau gréement. Brunton n’est d’ailleurs pas le seul responsable puisque Beaussier signe la presque moitié du répertoire et que De Williencourt signe deux compositions sans que l’unité du projet en souffre, même si cette route du Nord passe par une Inde rêvée (mais n’est-ce pas ainsi qu’on a découvert l’Amérique ?)

La conversation de deux flûtes, une clarinette basse adossée à l’une d’entre elles, un baryton qui s’arrondit sous de doux jeux de langue, un duo fantasmé de quenas : le Nord est surtout une idée de la transparence. C’est sans doute cela qui porte sans faux-fuyant un timbre vers l’autre sur de légers échafaudages, et ce n’est pas d’évoquer en plusieurs lieux les premières mesures mythiques de Conference of the birds qui contredira cette saisie d’une lumière unique, boréale.

Philippe Alen

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Jazz actu·ELLES saison #2
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