Worlds

Léandre / Anker / Osgood

Lotte Anker (ts), Joëlle Léandre (b), Kresten Osgood (dm)

Fundacja Słuchaj! / Bandcamp

Date de sortie: 01/12/2024

Des mondes ? Davantage des points de vue sur un monde. Trois. Dans le premier, World One, c’est la contrebasse qui tend la corde sur laquelle s’avance à pas d’abord prudents, puis plus assurés le ténor de Lotte Anker, taiseux, bougon, peu enclin à sortir d’une farouche réserve sinon par bribes, escarbilles à demi calcinées, menaces maintenues des puissances d’un feu encore virtuel, mais potentiellement dévastateur. Une impression continuellement entretenue par la frappe réactive et disséminée du batteur danois qui couve cet incendie dont n’apparaissent ici ou là que d’intermittentes flammèches. World Two procède de chuintements, frottements, raclements nocturnes parmi lesquels Joëlle Léandre fraye une voie luisante que, passant et repassant, le ténor creuse peu à peu, le transformant en ornière où cahote Osgood jusqu’à ce que le jour pointe et qu’un phrasé s’assemble, laconique cependant. Enfin, c’est Lotte Anker qui esquisse la perspective sur World Three, suivie par l’ombre bienfaisante de la contrebasse de Léandre jusqu’à ce que, caisse claire discrètement crépitante, pied impératif sur la grosse caisse, Osgood la pousse à affermir son propos.

Les durées sont éloquentes1. Celle de la longue pièce initiale se voit divisée par trois dans la deuxième, laquelle représente encore le double de la dernière. C’est que le monde dont il s’agit n’est pas achevé comme celui du huitième jour mais un univers en formation, à peine plus qu’une soupe primitive ; et le temps de son organisation, que rien ne bouscule, qui ne répond à aucune idée préconçue, à aucun plan directeur, est celui d’une émersion que règle seul l’agencement de matériaux en repect de leurs propres lois. Ces trois points de vue requièrent un ajustement progressif de la vision, une mise au point plus précise à mesure. Mais qu’on ne s’y trompe pas : approche n’est pas approximation et ne confondons pas l’acteur avec son personnage. Cette genèse, pour indécise qu’elle paraisse de prime abord nous est révélée par des instruments à la fiabilité éprouvée (tant d’ailleurs que Léandre notamment laisse affleurer ses propres clichés remontant à Taxi) et c’est en somme en position confortable que nous assistons à la naissance d’un monde qui s’improvise par les moyens même de l’improvisation. En somme, une conférence publique et non didactique, un grand poème antique.

Philippe Alen

1De 28’36 pour la première pièce à 9’54 pour la deuxième, puis 5’15 pour la dernière, à noter que sur la pochette du disque, les durées de World One et World Two ont été inversées.

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Jazz actu·ELLES saison #2
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