jazz in, le jazz en mode multimédia

Generic filters

"Round Trip"

Ornette Coleman

Jackie Mc Lean (as) et The Ornette Coleman Trio avec Charles Moffett (dr) David Izenzon (b)

Blue Note

Date de sortie: 11/02/2022

Après la sublime réédition en coffret des concerts de Lee Morgan au Lighthouse et en attendant le coffret 8 de Charles Lloyd (magnifique, on en reparle bientôt !) voici rééditée en six vinyles l’intégralité (à quelques exceptions près : on fait le point en fin de chronique) des enregistrements de l’altiste-trompettiste-violoniste pour le label Blue Note. Petite visite commentée.

AT THE GOLDEN CIRCLE VOL. 1 : Après deux années d’inactivité et après la riche période Atlantic, Ornette Coleman signe pour le label Blue Note. La première prise de contact se fera live. Le trio d’Ornette se produit au Golden Circle de Stockholm le 3 & 4 décembre 1965. L’altiste est à la tête d’un trio comprenant son vieil ami Charles Moffett aux drums et David Izenzon à la contrebasse (un musicien à redécouvrir et reconsidérer). Coleman n’a rien perdu de son acidité, de son mordant ni de ses phrasés incisifs. La section rythmique, métronomique et néanmoins swinguante brille de mille feux (cymbales rutilantes de Moffett, monstre d’énergie suave). Mais c’est Izenzon que l’on a envie d’écouter attentivement ici : souplesse de jeu, indépendance totale (quand le leader a du mal à se débarrasser du leitmotiv d’European Echoes, lui s’amuse comme un beau diable), archet profond et délicat (le Monsieur a tâté des orchestres symphoniques), il est celui qui lie, déborde et rassure. Le retour d’Ornette Coleman ? Ebouriffant.

AT THE GOLDEN CIRCLE VOL. 2 : C’est avec Snowflakes & Sunshine que l’on découvre Ornette Coleman violoniste. Ça grince, ça ferraille et ça secoue tout autant quand Ornette souffle dans sa trompette, David Izenzon faisant lien de son archet acide. Ornette violoniste-trompettiste ? Faute de goût diront les pisse-vinaigres qui n’en sont pas à ça près. Et sans doute ne connaissent-il pas ce concert étonnant et jamais édité où ce même Ornette joue piano (si si piano !) et alto solo.

Le saxophone alto reprend ses droits avec Morning Song, sobre ballade (archet capiteux du contrebassiste), The Riddle, free bop furibond et bondissant (les phrasés toujours convulsifs d’Ornette) et Antiques, parfait chant d’adieu concluant ces deux concerts suédois.

THE EMPTY FOXHOLE : Les petites mélodies acidulées fusionnant en d’impressionnants développements font de nouveau mouche avec The Empty Foxhole, premier album studio de Coleman pour Blue Note. Si, ici, Ornette n’a plus d’alter-ego, il retrouve son vieux complice Charlie Haden et embauche son jeune fils, Denardo Coleman, alors âgé de dix ans. Que n-a-t-on pas dit sur Dernardo ? Les pisses-vinaigres s’en sont donné à cœur joie. Mais qu’est, ici, Denardo si ce n’est un batteur dont le jeu évite toute métronomie au profit d’un jeu aux ruptures constantes ? Vif donc et entrecoupant son jeu de cymbales par des cavalcades sur toms, Denardo inaugure un jeu qui ne trouvera jamais suiveur.

Si le Ornette trompettiste résiste mal au lyrisme (The Empty Foxhole) et à ses déchaînements (Freeway Express), l’Ornette violoniste libère l’archet sans souci de consonance (l’harmolodie est en route) et met en rogne les bien-pensants. Qui lui accorderont peut-être une étoile (c’était à la mode dans les revues spécialisées) suite à l’émouvante ballade Faitfhful.

NEW YORK IS NOW : En 1960, Coltrane enregistre pour Atlantic l’album Avant-Garde et s’entoure des partenaires d’Ornette (Don Cherry, Charlie Haden, Ed Blackwell). Huit années plus tard, Ornette lui rend la pareille et choisit pour accompagnateurs le contrebassiste Jimmy Garrison et le batteur Elvin Jones (exit McCoy Tyner mais tout le monde le sait : Ornette et les pianistes c’est toute une histoire !), le saxophoniste Dewey Redman complétant la formation. Mais à la différence de Trane qui revisite les thèmes d’Ornette, l’altiste ne propose, ici, que ses seules compositions.

Sans McCoy Tyner, le duo Garrison-Jones n’impulse que modérément l’esthétique coltraniènne (Coltrane est mort un an plus tôt et les deux rythmiciens avaient quitté le quartet fin 1965) mais impose un jeu rythmique conventionnel avec moult changements de tempos (se confirme ici le grand talent du contrebassiste). Ornette, lui, se fait bluesman furieux et volubile, altiste inspiré, as de la voltige et demeure toujours au centre des débats. Quant à Dewey Redman, il est le plus free de la session (harmonique piquantes, phrasés cassés-étranglés). Et il n’y eu jamais de Volume 2.

LOVE CALL : La très belle prise de son de Love Call et sa remarquable remastérisation (on y reviendra) nous permet de goûter au jeu tout en finesse-puissance d’Elvin Jones sur ses cymbales. Le batteur, torrent impétueux,  retrouve, ici, la complicité de son ami Jimmy Garrison. Et à partir de là (c’est-à-dire en tout début de disque), ça fait très mal ! Ornette n’a plus qu’à s’envoler très haut, là où évoluent les anges de l’alto (Bird, Dolphy).

Trompettiste à la limite de la saturation (pisse-vinaigre, déchaînez-vous !), Ornette propulsé par le free bop débordant du batteur nous fait regretter que cette formation peu entendue sur scène n’ait enregistré que ces deux seuls enregistrements. Oui, mes quels disques mes aïeux !

JACKIE McLEAN – NEW AND OLD GOSPEL : ceux qui doutaient des qualités de trompettiste d’Ornette Coleman avalèrent leurs dentiers à l’écoute du New & Old Gospel de l’altiste Jackie McLean. Thèmes joués à l’unisson, montées vertigineuses de l’un et de l’autre, ballades au bord de la rupture (impossible entente entre Ornette et le pianiste Lamont Johnson), tensions portées jusqu’à leurs paroxysmes, New & Old Gospel puise dans les formes détournées du hard bop et de free jazz sans en déformer l’une ou l’autre.

Ici, une première face en forme de suite en quatre parties (Lifetime) composée par Jackie McLean et une seconde à la charge d’Ornette (Old Gospel : comme son nom l’indique gospel funky et endiablé & Strange As It Seems : petit traité de dissonance affirmée). En quelque sorte un OVNI singulier, rigolard et jouissif. Le 24 mars 1967 au studio d’Englewwod Cliffs de Rudy McGelder, on s’amusait bien, on défrichait bien et s’enregistrait, mine de rien, l’un des grands moments discographiques de l’histoire du jazz.

Quelques mots maintenant sur le coffret. La présentation est on ne peut plus exemplaire (magnifiques pochettes cartonnées et brillantes) et la remastérisation de Kevin Gray est à mille lieux des piètres rééditions vyniles que nous offrent (façon de parler) les majors habituellement. Certains pourront préférer le mastering plus acide des Golden Circle effectuée par Rudy Van Gelder en 2002 mais ici, nous avons rarement entendu la subtilité des cymbales d’Elvin ou Moffett aussi bien captées. Ainsi, les contrebasses de Garrison et Izenzon gagnent en netteté et tranchant. Reste le regret de voir ici oubliés les bonus track publiés sur les premières rééditions CD d’Ornette sur Blue Note. En un mot : Magnifique ! Et vive l’abondance !

Luc BOUQUET

PS : signalons pour les petits budgets la réédition en un seul CD des sessions New York Is Now & Love Call par le label ezz-thetics (Ornette Coleman / New York Is Now & Love Call Revisited) avec, là aussi, un souci certain concernant le confort d’écoute.

Partager

Podcast mensuel "Caravan"

Chaine YouTube Jazz in

Publications récentes

Catégories

Archives