Charlie HADEN nous a quitté le 11 juillet 2014. Pour l'équipe de Clap'Coop il est aussi celui qui prête sa voix au générique du magazine Caravan: "...His importance is in my life..." Christian Pouget lui rend hommage en référence à une de ses formations, la plus emblématique.
Aveuglés par la lumière andalouse, trois prisonniers, insurgés républicains, sortent du cachot, poussés par des «guardia civil», qui les conduisent sur le pont de Ronda, surplombant les gorges vertigineuses du Guadalevìn.
Montant sur le parapet, le premier hurle : «Liberté aimée, tu es mon seul désir, tu es mon rêve, tu es mon amour !» (1), avant de basculer dans le vide, poussé par les crosses des fusils. Il rêve qu’il tombe, il sent l’odeur des orangers en fleur, il rêve d’un monde meilleur, sans dieu ni maître, un oiseau effleure son visage, il rêve qu’il vole, il est heureux, il a peur, il rêve qu’il va mourir, il rêve qu’il va se réveiller, sa chute dure une éternité, il entend une «guitara flamenca», puis une fanfare. Le Libération Music Orchestra de Charlie Haden, entonne «El Quinto Regimiento», transformant cet hymne révolutionnaire, en valse tournoyante, comme ce corps qui tombe, l’accompagnant de bouffées de cuivres fous qui hurlent des cris de souffrance, Gato Barbieri se lance dans un chorus vibrant, traversé d’étranglements suraigus, évoquant cette douleur, puis le silence.
Le second le suit en criant avec conviction : «Mieux vaut mourir, qu’être esclave !» (2). Il se voit jouer avec ses enfants, faire l’amour avec sa femme, tuer un guardia civil, il entend Durruti lui donner du courage, il appelle sa mère, il voit les champs de citronniers et d’oliviers, il revoit Sanchez Meiras affronter le Miura Graneìro dans l’arène de Manzanares, il entend à son tour la guitare. Le Liberation Music Orchestra sonne comme une peña qui divague, ivre et folle, pendant ces férias du bonheur, la guitare seule, installe un climat d’une forte intensité dramatique, renforcé par la contrebasse chantante, introduisant avec une gravité solennelle le thème «Los Cuatro Generales», sardane sautillante, reprise par l’orchestre. Il entend le choeur chanter à tue-tête, il sait qu’il doit se réveiller, il le doit, ce n’est qu’un cauchemar, puis le silence.
Le dernier s’élance sans attendre qu’on le pousse, déchirant l’air de sa voix : «Lorsque je mourrais, attache-moi les mains, avec les tresses de tes cheveux !» (3). Il sent les doigts de sa femme caresser son visage, il sent sa bouche couvrir ses yeux de baisers, il entend le cliquetis des ciseaux, il sent ses mains nouer les tresses autour de ses poignets, il l’entend sangloter, il lui dit de ne pas pleurer, il chante «Viva la Quince Brigada», le Liberation Music Orchestra s’engouffre dans une improvisation collective débridée, Barbieri hurle encore dans son saxophone ténor, l’orchestre reprend le thème en fanfare, des frissons parcourent son corps qui tombe, violente angoisse, des centaines d’images accélérées défilent devant ses yeux, puis le silence.
Sur les rochers, trois corps disloqués, gisent dans une mare de sang, trois hommes rêvent : «Mourir c’est dormir, dormir c’est rêver, mourir c’est rêver» (4).
Charlie Haden avec sa brigade de musiciens, son orchestre d’engagés volontaires, a rendu cet hommage musical, chargé d’une forte puissance émotionnelle, à tous ces idéalistes et utopistes espagnols, à tous ces citoyens du monde des brigades internationales, épris d’amour et de liberté, venus aider leurs frères, en donnant leur vie, pour lutter contre le pouvoir tyrannique des nationalistes Franquistes.
Christian Pouget
1 Cancion de Montjuich ( Chant anonyme )
2 Hijo del pueblo ( chant anarchiste espagnol )
3 Siguiriya Durruti no ha muerto ( Alvarez, Narvaez, El Roto )
4 W Shakespeare