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Good bye Porkpie Hat ( Lester YOUNG )

Vinyl:LesterYoungSeuls, des réverbères squelettiques parviennent à percer l’épais brouillard, descendu sur la ville comme un linceul, enveloppant, rues, trottoirs, porches, façades, quelques phares de voitures, trouant à peine ce manteau de brume grise.
Brillent les pavés humides, sous les nappes en suspension, résonnent les aboiements de chiens invisibles, claque une porte qui se referme, corne lointaine au son sourd, étouffé, bourdonnement de machinerie d’une péniche aveugle remontant le fleuve, pont d’acier fantomatique vibrant au passage d’une rame de métropolitain.

Sortant du “Blue Note”, d’un pas lent et fatigué, une immense silhouette avance solitaire, long manteau noir dans la blancheur brumeuse, chapeau à bord plat incliné sur le côté, balançant un étui sur un tempo régulier, rythmé par la pulsation ralentie de sa marche, traverse la rue, guidé par l’enseigne lumineuse, phare pour un voyageur égaré, hôtel refuge pour une âme perdue.

Sur la scène de la Note Bleu, Lester intrigue, nuque incliné, gestuelle oblique avec son saxophone à l’horizontale, posture étrange qu’on pourrait prendre pour une attitude esthétique, mais qui disparait dès qu’il souffle, avec sa façon de prendre la tangente, d’aller chercher ailleurs, là où Maître Hawkins et les autres ne sont jamais allé, loin des raucités et des véhémences guerrières des ténors.
Depuis toujours, il se perd dans des paysages lunaire, Pierrot des espaces où la lumière
brille à peine, là où les ombres furtives suscitent le mystère, sonorité feutré, feulements, silences, frissons, Lester est un expressionniste, comme Turner, il suggère d’avantage qu’il ne peint les contours, laissant deviner les formes dans l’espace.

Dernier envol à Paris, Lester joue les tempos vifs comme une poignante éloge de la lenteur, semblant déjà parti vers d’autres cieux, détaché, survolant le jeu alerte de Gourley, Urtreger, Nasser et Clarke, sans se presser, comme si le rythme n’avait pas de prise sur lui.
Photographie imaginaire du jeu des musiciens, figeant l’image nette de Lester, alors
que, autour de lui, Jimmy, René, Jamil et Kenny, flous, symbolisent la vitesse, sensation que le temps s’est arrêté avec la ballade “I can’t get started”, sonnant comme un requiem.

Le sourire fatigué, las, comme une usure du temps, cicatrice d’un souvenir douloureux resurgissant, au milieu des désillusions et des pensées désespérées : “même si on continue à avancer, il n’y a nulle part où aller” *.
Lester monte dans le taxi qui le conduit à l’aéroport, pour son retour à New York, roi solitaire sans reine, perdu dans ce monde qui n’est plus fait pour lui, dans lequel il ne lui reste plus que quelques heures à vivre.

Christian POUGET

* “même si on continue à avancer, il n’y a nulle part où aller” citation de Lester Young

 

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