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Romy à St Remy

LES DERNIERS FEUX DE L’ÉTÉ à JAZZ À SAINT RÉMY ou COMMENT ROMY S’Y EST INVITÉE

Pourquoi l’esprit de Romy Schneider a-t-il plané tout le long de ce festival ? D’abord, il y avait cette jolie chatte Maincoon appelée Romy qui venait tous les jours me tenir compagnie lors de l’exposition de mes photos dans le cadre du festival à l’hôtel Gounod de Saint Rémy et ce fut un régal pour ceux qui comme moi aiment les chats.

Romy

Et puis sur les quatre formations programmées, les trois premières ont donné leur version de La Chanson d’Hélène et ce fut chaque fois un rappel un peu mélancolique de cette si bonne actrice. Voyons donc en détail les trois soirées de ce beau festival créé en 2008 venant clore la saison d’été dans la région, mené par son président Bernard Chambre et son équipe de bénévoles très motivés qui ne comptent pas leurs heures. Les concerts ont lieu dans la salle de l’Alpilium depuis 2013 à la belle acoustique qui permet d’accueillir jusqu’à 450 personnes, voire un peu plus lors de la dernière soirée avec Rhoda Scott samedi 17 septembre qui s’est jouée à guichets fermés.

Jeudi 15 septembre, c’est l’accordéoniste Marc Berthoumieux qui ouvre le bal avec justement un de ses derniers projets intitulé “Le Bal des Mondes” sorti en novembre 2018 sur le label Sous La Ville. Ce musicien prolifique a ensuite sorti sur le même label “Les Couleurs d’Ici” en novembre 2020 et dernièrement “Les Choses de la Vie” en trio piano, basse, accordéon en mai de cette année (Romy, toujours Romy…) Donc, c’est un mix des titres phares de ces trois albums que nous aurons le privilège d’entendre avec d’abord quatre musiciens, Marc Berthoumieux, le pianiste Giovanni Mirabassi, le batteur Stéphane Huchard et le bassiste Laurent Vernerey.


Ils commencent avec le titre Vent d’Ouest puis avec Lina et Marcel, hommage à Marcel Azzola et sa pianiste Lina Bossati. L’album “Le Bal des Mondes” avait été enregistré en studio avec 14 musiciens (5 principaux et 9 invités) et un orchestre de 17 cordes. On est loin du compte dans cette version en quartet qui s’épure et gagne en simplicité où l’on entend très bien le piano et la section rythmique essentielle et capitale de Laurent Vernerey et de Stéphane Huchard. C’est magnifique et très dansant. Arrive alors sur scène le percussionniste et vocaliste Jean-Luc Di Fraya, partenaire du Bal des Mondes qui se joint à ses compagnons pour nous livrer une très belle version de Have You Heard d’un guitariste que j’admire entre tous, Pat Metheny. Marc a écrit la musique de deux chansons de Claude Nougaro : L’Espérance en l’Homme” et “Fleur Bleue” que nous allons entendre pour cette dernière, non sans inviter à son tour le guitariste Louis Winsberg, son ami de plus de trente ans, partenaire également du Bal des Mondes. Une intro superbe à la guitare et un final donnant le frisson avec l’enregistrement de la voix de Nougaro en feront un grand moment du concert : “Comme un musicien attend, Face au fin fond, fin fond des cieux, Face au désert de son chant, La blue note, la note bleue”.  La première partie se conclue avec Jo in a Blues et son final d’enfer, hommage à Jo Privat, l’accordéoniste du Balajo que l’on nommait le gitan blanc.

Le concert reprend avec le titre éponyme du dernier disque Les Choses de la Vie qui n’est autre que La Chanson d’Hélène joué en quartet, en une émouvante version très applaudie qui donne encore la chair de poule, l’accordéon dans toute sa subtilité offrant une grande palette de sentiments exprimés dans cette chanson, avec un pianiste également formidable. Puis Jean-Luc Di Fraya et Louis Winsberg reviennent pour un Ostinato du Bal des Mondes sur lequel on résiste difficilement à danser et chanter avec Di Fraya. Un petit voyage pour voir ce qu’il y a Derrière la Lune, et c’est bien joli croyez-moi, avec une guitare qui fait décoller immédiatement, avant le titre éponyme du disque “Le Bal des Mondes” où le public fredonne avec Di Fraya l’entêtant refrain, suivi par Le Bleu de Majorelle quiterminent ce concert bonheur riche en émotions. Mais deux rappels suivront devant l’enthousiasme que les musiciens ont suscité avec le titre éponyme du disque “Les Couleurs d’Ici”, puis un entraînant Balakatun du même disque. Une belle découverte en concert pour ma part de cet accordéoniste généreux que je ne saurai trop recommander d’écouter, d’autant plus qu’il est magnifiquement accompagné.

Vendredi 16 septembre, voilà en première partie de soirée le duo du pianiste Baptiste Trotignon et du percussionniste Minino Garay qui joueront leur projet  “Chimichurri” datant déjà de septembre 2016, paru sur le label Okeh Records. Le chimichurri, c’est un condiment argentin à l’équilibre parfait et c’est bien comme ça que ce sera ce soir, un équilibre parfait effectivement. Leur concert a eu le temps depuis de s’enrichir et ce n’est pas dans son intégrité qu’ils nous le joueront ce soir mais agrémenté d’autres extraits des disques de l’un ou l’autre avec déjà deux compositions du pianiste qui joue pieds nus La Répétition (où Minino Garay était d’ailleurs invité) et Awake de son disque “Song, Song, Song” qui date d’il y a 10 ans. Le percussionniste donne toute la mesure de son talent qui n’est pas que rythmique puisqu’il remplace Jeanne Added présente sur ce disque dans ce morceau un peu halluciné en jetant ses propres mots. Une musique argentine de Minino Garay, Sus Ojos Se Cerraron de son disque “Vamos” (L’Autre Distribution 2015) donne lieu à quelques fous rires quant au lieu de naissance de Carlos Gardel à qui la composition rend hommage : Carlos Gardel est né à… Toulouse ! Hé oui ! Et a émigré en Argentine à l’âge de deux ans !  Les deux musiciens se connaissent et travaillent depuis longtemps ensemble, s’amusant comme deux petits fous, changeant souvent de tempo pour mieux nous perdre.


Ils nous scotchent devant cette belle complicité à toute épreuve rythmique et vocale en triturant également les standards dans le Maria puis l’America de West Side Story ou reprenant la douce composition Palhaço d’Egberto Gismonti, le pianiste et guitariste brésilien. On reste dans l’Amérique du sud avec ce tango intense arrangé pour le jouer à deux Estas Desorientado tiré du dernier album formidable de Minino Garay “Speaking Tango” sorti en février 2022 sur le label Sunnyside, et inspiré par une des plus glorieuses plumes du tango Catulo Castillo avant de repartir de l’autre côté de l’Atlantique avec une version très personnelle du Jenny Wren de Paul McCartney. Une petite leçon de triangle très drôle du percussionniste grelots aux pieds sur la composition Chorinho Pra Ele d’Hermeto Pascoal,avant un doux Somewhere puis le concert se termine sur la première plage du disque “Chimichurri”, à savoir La Cambiada, avant un rappel sur… une nouvelle fois La Chanson d’Hélène (sur le disque “Vamos” également) en version piano percussion et introduite par une magnifique poésie déclamée par Minino. Les applaudissements furent à la hauteur de ce concert, savoureux coup de cœur parfaitement dosé entre les deux continents et les expressions variées des sentiments.

Suit en seconde partie le Michel Legrand Jazz Quintet avec Hervé Sellin au piano, Denis Leloup au trombone, Claude Egea à la trompette, Pierre Boussaguet à la contrebasse et François Laizeau à la batterie, les musiciens historiques qui ont tous plus ou moins joué avec Michel Legrand qu’on ne présente plus tant il fut un compositeur génial et prolifique qu’à peu près tout le monde aime. Disparu en janvier 2019, il a laissé un grand vide que ses compagnons ont essayé de combler avec cet hommage à toutes les grandes et belles compositions de ce grand musicien naturalisé américain en 2011.

Hervé Sellin avait sorti le disque “Dedication” sur le label Indésens en janvier 2020 avec le trompettiste Claude Egea, le pianiste de Charles Aznavour Erik Berchot, le violoncelliste Henri Demarquette et la femme de Michel, Macha Méril. C’est Denis Leloup, qui a réalisé pratiquement tous les arrangements, qui présente les morceaux choisis commençant avec l’inoubliable Récit de Cassard écrit par Michel Legrand et Jacques Demy pour Les Parapluies de Cherbourg devenu aussitôt un grand standard sous le nom de Watch What Happens. Suit Les Enfants qui pleurent que Claude Nougaro avait repris également. Les mélodies continuent, on les connait toutes mais oui ! Mais on connait moins leurs titres présentés de manière presque didactique avec Je vivrai sans toi (puisque tu le veux…) dont les paroles furent composées par Eddy Marnay, suivi de Marion ne m’aimait pas. L’ambiance est totalement différente du concert précédent, un peu professorale, mais le plaisir est là malgré tout d’entendre, de réentendre tous ces thèmes bien expliqués mais qui n’évite pas une certaine nostalgie avec le fantôme de Michel qui plane et la sensation que les années passent bien vite. Les Moulins de Mon Cœur du film L’Affaire Thomas Crown, ont été bien transformés par le tromboniste tandis qu’une des plus belles mélodies (Michel Legrand en a composé au moins 500), la préférée de François Laizeau et on le comprend, est sans doute I Was Born In Love With You, tirée du film Les Hauts de Hurlevent.


Hervé Sellin a arrangé pour le quintet à son tour la musique du film Yentl réalisé par Barbra Streisand avec Barbra Streisand, autre chef d’œuvre de Michel Legrand. Un vrai tour de force vu la densité de la musique de ce film. Il a aussi extrait la quintessence d’Un Été 42 en nous offrant On a Famous Summer, réarrangé pour le quintet et qui traduit bien l’ambiance du film. Bien sûr, on ne peut échapper à un petit florilège des Demoiselles de Rochefort avecla Chanson de Solange (qui était jouée par Françoise Dorléac) tandis que le contrebassiste présente lui aussi son thème préféré des Demoiselles qu’il a arrangé : You Must Believe in Spring. On pense tous que c’est Bill Evans qui l’a composé et bien non ! C’est Michel Legrand et le titre original en est la Chanson de Maxence (Jacques Perrin dans le film). Et Pierre Boussaguet raconte avec humour la pression de Michel pour qu’il lui trouve un bel arrangement pour la contrebasse, ce qui est effectivement le cas avec des cuivres qui remuent les tripes. Sans jeu de mots, ils terminent sur un mode effréné avec La Femme Coupée en Morceaux, toujours dans Les Demoiselles de Rochefort, suivi bien sûr du tube universel de la Chanson des Jumelles ! Et que joueront-ils en rappel ? Je vous laisse deviner… La Chanson d’Hélène bien sûr !Romy, toujours Romy. J’ai décidément appris ou dépoussiéré beaucoup de choses ce soir avec ces cinq musiciens chevronnés qui ont recréé aisément l’univers de Michel Legrand.

Samedi 17 septembre, final du festival à guichets fermés avec la grande dame qu’est Rhoda Scott et son “Lady All Stars”. Entendues le 31 juillet dernier au moment de l’Avignon Jazz Festival, c’est avec un plaisir renouvelé que je les ai à nouveau écoutées, d’autant plus qu’Anne Paceo la batteuse avait repris sa place (c’était Ananda Brandao la dernière fois et quelle bonne batteuse !). Par contre Céline Bonacina absente a laissé sa place à Jeanne Michard qui la dernière fois remplaçait Géraldine Laurent présente ce samedi. C’est un peu le jeu des chaises musicales pour le coup et nous apprendrons d’ailleurs un scoop ce soir : de quatre que le groupe était en 2004 (bientôt 20 ans d’existence), les ladies sont donc huit actuellement et bientôt seront dix avec trois batteuses ! Je parie aisément sur Ananda Brandao et Jeanne Michard qui sait jouer de tous les saxophones. Donc ce soir, nous retrouvons sur la gauche de la scène les deux batteuses Anne Paceo et Julie Saury, au milieu Rhoda Scott qui règne en majesté et pieds nus sur son orgue Hammond, et enfin sur la droite, nous avons les cinq soufflantes : Jeanne Michard au saxophone baryton, Sophie Alour au saxophone ténor, Airelle Besson à la trompette et bugle, ainsi que Géraldine Laurent et Lisa Cat-Berro aux saxophones alto.

Le disque “Lady all Stars” est sorti en décembre 2021 sur le label Sunset Records et c’est ce disque qui sera joué ce soir en commençant par une composition de Lisa Cat-Berro qui donne tout de suite le ton, City of the Rising Sun, suivie d‘une autre d’Airelle Besson appelée Escapade mettant en valeur la trompette au son si particulier de cette trompettiste. Le morceau R&R composé par Sophie Alour est mené par le baryton de Jeanne Michard qui nous impressionne tous. Une petite pause pour nous parler de chaque projet de ces musiciennes. Lisa Cat-Barro tourne depuis plus d’un an avec son “Good Days Bad Days”, Jeanne Michard avec “Songes Transatlantiques” également, de même qu’Airelle Besson avec “Try”. Sophie Alour, elle, vient de recevoir une Victoire du Jazz comme instrumentiste de l’année 2022 et porte un double projet “Joy ”et “Enjoy”. Anne Paceo dont c’est l’anniversaire ce soir tourne avec son projet “S.h.a.m.a.n.e.s” tandis que Julie Saury rend hommage à son père clarinettiste disparu en 2012 avec “For Maxime” et Géraldine Laurent enchaîne les tournées avec “Cooking”. Une composition écrite par Anne Paceo, Les Châteaux de Sable est entamée par un solo de batterie d’Anne Paceo et montre le talent de Sophie Alour. Lisa Cat-Berro a composé le titre suivant Golden Age et la contribution de Julie Saury avec son Laissez-moi donne lieu à une anecdote savoureuse contée par ce boute-en-train qu’est Rhoda Scott. Un Short Night Blues fougueuxcomposé par Rhoda Scott suit où chaque soufflante se passe le thème dans une bonne humeur communicative avec un ou deux couacs qui les font bien rire, avant le I Wanna Move de Sophie Alour débutant par un duo de batterie d’anthologie ! Une battle infernale soulignant la belle complicité d’Anne Paceo et Julie Saury qui ont envoyé avec une énergie incroyable. Un superbe rappel avec le What’d I Say de Ray Charles en interaction avec le public achève ce concert magistral par une standing ovation qui illustre le girl power revendiqué par Rhoda Scott et représente un modèle nettement plus inspirant pour nos filles et petites filles que celui de notre première ministre actuelle. “Nous sommes les audacieuses amazones” nous dirait Rhoda ! Une musique résolument audacieuse et dynamique comme un mini big band au groove fichtrement fougueux qui nous a tous galvanisés pour terminer ce festival.


 Hélas, le mistral glacial qui s’était abattu brutalement sur St Rémy le vendredi soir a contraint à annuler le bal qui devait se tenir sur l’esplanade devant l’Alpilium. Mais la sortie s’est faite malgré tout dans la joie avec le Jean-Jacques Taib quartet qui assurait l’apéro-swing et qui a remplacé au pied levé The Dealers of Swing. Il faut savoir également que pendant la durée du festival se tiennent des animations musicales gratuites en ville à la mi-journée et que tous les soirs de 19h à 20h se tiennent donc des apéro swing dînatoires sur le parvis de l’Alpilium contribuant au succès de ce festival.

Que toute l’équipe du festival soit chaleureusement remerciée avec en particulier Patrick Martineau, photographe officiel du festival et responsable de la communication qui a été à l’origine de l’exposition de mes photos.

Florence Ducommun, texte et photos

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