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Revelations - The Complete ORTF 1970 Fondation Maeght Recordings

Albert Ayler

Albert Ayler (ts-ss-v), Mary Parks (ss-v), Call Cobbs (p), Steve Tintweiss (b), Allen Blairman (dr)

Elemental Music

Date de sortie: 06/06/2022

Y-a-t-il un psychologue dans la salle ? Si réponse positive, pourrait-il résoudre ce mystère ? Comment se fait-il que le chroniqueur ayant patienté fébrilement pendant de longs mois la sortie de ce coffret (4 CD, un livret richement illustré : un bonheur quoi !) ait attendu de si longues semaines avant de l’écouter et d’en écrire quelques lignes ? La peur d’être déçu ? Non, le chroniqueur connaissait déjà l’intégralité de ces concerts, les ayant déjà récupérés, certes avec une qualité médiocre. Alors quoi ? Peut-être pensait-il qu’en cette période de violence guerrière (et d’acceptation ou de résignation de cette dernière), le monde ne méritait pas un quasi-inédit d’Ayler. Et résonnait dans sa tête ce que répondit Alice Coltrane à un journaliste lui demandant à quand un nouveau disque de son mari : « le monde, aujourd’hui, ne mérite pas un nouvel enregistrement de John Coltrane ». Radical, non ?

Résumons pour les derniers de la classe ou les plus jeunes : la Fondation Maeght de Saint Paul de Vence (Var) accueille un festival de musique hors normes fin juillet 70. S’y produisent Sun Ra, Albert Ayler, Terry Riley, Cecil Taylor. Le public qui avait sifflé Ayler quatre ans auparavant à Pleyel faisait deux soirées durant une standing ovation au saxophoniste. Comprenne qui pourra.  

Si le répertoire de ces deux soirées reprend quelque peu les deux derniers enregistrements du saxophoniste pour Impulse, on devine ici une nouvelle direction. Le 25 juillet 1970, Ayler est à la tête d’un quartet d’où est absent Call Cobbs (il a raté l’avion). Mary Parks, la compagne d’Ayler, (chant, saxophone soprano) y révèle un tempérament vif et tranchant. Ici, la clarté du chant du saxophoniste en étonnera plus d’un, son désir de retourner à la mélodie –qu’il n’a en fait jamais quittée-  sans omettre son recours à la convulsion laisse à penser qu’Ayler avait réussi à réconcilier ses propres extrêmes. La paire Steve Tintweiss, Allen Blairman, parfaitement en phase avec le new Ayler va pousser le saxophoniste très loin dans l’expressivité d’un art jamais égalé. Autour de Ghosts, Love Cry se nichent quelques inédits baptisés Revelations. Ce sont, précisément, ceux-ci qui nous intéressent. Improvisations collectives, elles font se croiser les souffles (soprano pour Mary, cornemuse et ténor pour Albert), les expérimentations vocales et s’inscrivent en plein cœur d’un free jazz vibrant. 

Le 27 juillet le pianiste Call Cobbs (souvenir d’un mémorable Angels en duo avec le saxophoniste) rejoint la fine équipe. Les ultras-aigu d’Ayler sont de sortie, Allen Blairmann mouline comme un grand diable et le pianiste apporte swing, blues et gospel au sein des compositions du saxophoniste (écoutez son accompagnement sur Truth Is Marching In : il est aux antipodes harmoniques d’Ayler). Les oppositions voulues ou non (Again Comes the Rising of the Sun, Holy Family) ne manquent (une piste pour le new Ayler ?). Ici, se construit l’épique Revelations I et ses vingt minutes de folie douce). Ici, peu importent les approximations. Ici, l’on se jette à l’eau sans le souci de la noyade. Ici, l’on sculpte à même le vif. Ici, le débordement est la norme (le vénérable Call Cobbs, habitué à des musiques plus centrées fait siennes marges et pages blanches). Et on n’écrira jamais assez combien son accompagnement fait de longs et riches enroulements offre de nouvelles perspectives au saxophoniste. Contesté, critiqué voire haï, Albert recevait de la part du public une longue et émouvante ovation. La première… et la dernière.

Le lendemain, Albert Ayler donna un court concert au village de vacances de la Colle sur Loup (on imagine la tête des campeurs) dont on trouve quelques extraits dans le monumental coffret Revenant. Le 25 novembre, on repêcha son corps dans l’East River. Suicide, accident ou assassinat (il aurait fricoté avec la girl d’un caïd local), le mystère reste entier.

Il nous reste beaucoup à découvrir sur Ayler : des concerts inédits et quelques images quasi-inédites (les concerts de Maeght et le documentaire qu’en a fait Daniel Caux ainsi que le premier concert à Pleyel en 1966 –celui où il  ne se fit pas siffler-). Ce concert, disponible sur le site de l’INA Pro a disparu depuis quelques mois nous amenant à espérer une prochaine sortie DVD.  Quoiqu’il en soit, ce coffret, absolument indispensable est un véritable miracle. Voici peut-être ce qui empêcha le chroniqueur de se plonger plus tôt au creux de ces Revelations : il ne croit pas aux miracles. Et pourtant….

Luc BOUQUET

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