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Charlie Free fête ses 25 ans à Vitrolles

C’est un fait acquis depuis un quart de siècle, le premier week-end de juillet marque le début symbolique des vacances et du jazz à Vitrolles avec un festival de trois soirées que je crois n’avoir pas loupé depuis plus de dix ans. D’ailleurs cette année, le journal La Provence a énuméré les dix bonnes raisons d’aller “jazzer” sous les platanes de Charlie Free. Entre un lieu magique, des enfants qui batifolent en liberté au milieu de l’immense prairie avec des jeux à disposition, des food-trucks, une équipe de responsables et bénévoles très motivés et un esprit unique, il y a toujours eu une superbe programmation à un prix très attractif allant des jeunes découvertes aux grandes pointures du jazz. Il y en a pour tous les goûts et cela explique que chaque soirée est pratiquement toujours complète. Voilà pour la cadre, voyons donc ce qui nous était réservé cette année pour fêter cet anniversaire.

Vendredi 7 juillet

Le Massilia Brass  Bounce, fine fleur de cuivres marseillais,accueille les spectateurs dès 19 heures en fanfare déambulant dans tout le parc et la température déjà bien chaude monte d’un cran. Le trompettiste Christophe Leloil mène son petit groupe accompagné de Cleveland Donald également à la trompette, de Romain Morello au trombone, Simon Sieger au tuba et Djamel Taouacht à la batterie portative. La Nouvelle Orléans et son swing n’est pas loin et le ton bon enfant entraîne vite le public dans l’ambiance festive.

Le pianiste Yaron Herman arrive alors sur la grande scène des Platanes à 20 heures pour un concert solo qui malheureusement pour nous sera limité à une heure en raison du concert suivant à 21 heures. Pour ma part, ayant eu la chance de l’écouter récemment à Jazz in Arles, c’est plutôt un bonus et je ne fais que répéter ce que j’avais écrit en mai dernier, en dehors de quelques variantes. Pianiste révélé en 2008 au grand public grâce aux Victoires du jazz dans la catégorie Révélation de l’année, mais dont l’étoile brillait déjà depuis quelques années aux Etats-Unis, il n’a cessé depuis de multiplier les disques et les concerts, avec chaque fois un succès et un public qui lui sont acquis, dont ma personne. Pétri de diverses influences jazz ou classiques, son jeu est unique. Son dernier disque “Alma” se veut cette fois un saut dans le vide de l’improvisation, exercice suprême pour tout musicien accompli, qui est capable à partir d’un thème donné, de partir dans la stratosphère, yeux fermés et doigts guidés par le cerveau, dans un processus créatif unique. Et ce soir, nous sommes à nouveau témoins de ce miracle, car c’est un véritable jeu de funambule des notes suspendu au-dessus du précipice. Pas de partitions mais des improvisations libres ou tirées de standards détricotés et retricotés tels All The Things You Are de Jérôme Kernou le fameux Bemsha Swing de Thelonius Monk. Des mélodies traditionnelles et même une interprétation pour le moins très libre d’une Prélude de Bach en Si Mineur partagent l’espace sonore avec les cigales qui enchantent le pianiste. Et c’est avec regret manifestement que le pianiste quitte la scène après un ultime rappel.


Transportons-nous alors à la petite Scène du Moulin pour écouter à 21 heures le quartet Serket & The Cicadas de la pianiste et compositrice Cathy Escoffier qui nous a présenté sonsecond opusWestern”créé cette année. L’album “Incantation” sorti en 2020 avait été classé Révélation par Jazz Magazine et c’est la première fois que j’assiste au concert de cette musicienne marseillaise entourée de Julien Heurtel à la batterie et Guilhaume Renard à la contrebasse. Nicolas Rochette en voix off n’est pas présent. Serket est une divinité bienveillante de l’Égypte antique, entourée des cicadas – les cigales – telles celles qui accompagnent par leur chant les habitants du bassin méditerranéen dont est originaire le projet. Et là, Cathy Escoffier est servie par les cigales qui stridulent particulièrement fort dans le Domaine de Fontblanche pour accompagner sa suite qu’ils ont encore travaillée en résidence de trois jours sur place et dont le texte est narré par une voix off dont le texte a été écrit par la pianiste. Trois personnages descendent d’un train et relatent leurs états d’âme : un mercenaire, un marchand d’armes et une contemplative débonnaire… Le tableau dressé va servir de toile de fond aux trois musiciens en soutien au réalisateur, écrivain et activiste américain, Michael Moore et sa proposition de révision du second amendement de la Constitution américaine. Le texte est engagé et la musique habitée et passionnée, oscillant entre colères légitimes et moments de prières pour un second opus plus rock. Un pari à saluer, risqué et réussi, mais j‘avoue avoir été un peu gênée par la voix off. Un trio créatif en tout cas et à suivre de près.


La foule se dirige à 22 heures vers la grande Scène des Platanes pour écouter le quatuor du oudiste tunisien Anouar Brahem. J’avais assisté ici-même à son dernier concert en 2014 et il a eu à nouveau un succès fou. Avec ses fidèles compagnons Klaus Gesing à laclarinette basse et saxophone soprano, Björn Meyer à labasse et Khaled Yassine auxdarbouka et bendir. On ne présente plus ce musicien de 66 ans que chacun ou presque connaît et qui joue aux quatre coins de la planète et enregistre sur le label ECM tous ses disques en attirant toujours autant de monde. Le dernier disque en date “Blues Maqams” date déjà de 2017 et c’est en 2009 qu’il avait enregistré “The Astounding Eyes of Rita” avec les musiciens qui l’accompagnent cette fois-ci, presque autant prestigieux que lui. Un équilibre parfait entre tous les quatre, où chacun prend de temps en temps un solo, dans une atmosphère recueillie et méditative par cette chaude soirée qui nous ferait presque nous endormir. C’est une option prise par certains qui sont allés s’étendre dans le grand pré ou se prélasser dans les transats. Les compositions connues telles Astrakan Café, The Lover of Beirut, For No Apparent Reason ou les chantant Stop-over à Djibouti ou Bahia se succèdent avec bonheur. Et c’est en lévitation et calme total que la plupart repartent vers leur domicile après des acclamations nourries, car il fut très difficile après cela de se rendre à la Scène des Platines écouter le DJ Oil qui amenait une transition trop brutale.


Samedi 8 juillet

La température monte d’un cran au sens propre et figuré avec le programme que nous a concocté l’équipe de Charlie Free. Cela commence par la déambulation dans le parc de la fanfare La Vertu. On souffre pour eux avec cette chaleur alors qu’ils se démènent comme des diables. Ils sont cinq : Victor Auffray : flugabone, chant, Léo Delay: batterie, percussions, chant, Vincent Duchosal : guitare électrique, banjo, chant, Thibault Galloy : saxophones, chant et Axel Pfalzgraf : saxophone basse, chant. Une sacrée équipe enjouée et déjantée qui sait décoincer les plus raides d’entre nous.

Scène des Platanes, 20 heures, le groupe Asynchrone envahit l’estrade pour un hommage à l’immense cinéaste japonais Ryūichi Sakamoto disparu ce 28 mars 2023. Belle découverte que ce sextet dirigé par Clément Petit (violoncelle) et Frédéric Soulard (synthétiseurs) avec Delphine Joussein à la flûte (remarquée l’an passé dans le trio Nout), Manuel Peskine au piano, Vincent Taeger à la batterie et Sylvain Rifflet au saxophone ténor et clarinette basse. Que d’excellents musiciens qui ne pouvaient écrire que de l’excellente musique. Ce n’est pas simple interprétation des œuvres immenses du cinéaste mais une inspiration inépuisable qui m’a fait de suite penser aux rapports du groupe Supersonic de Thomas de Pourquery avec Sun Ra. D’autant que plusieurs morceaux sont chantés en chœur dans une belle harmonie. Révélé en septembre 2022 grâce à l’excellent EP “Kling Klang” et à une prestation live renversante au festival Jazz à la Villette, le groupe va sortir le 29 septembre son premier disque “Plastic Bamboo” sur le label No Format, dont le nom fait référence à l’une des compositions figurant sur le disque Thousand Knives Of(1978) du cinéaste. Démarré sur les chapeaux de roue avec le titre Expecting Rivers, le concert d’une heure emporte tout sur son passage en particulier l’adhésion du public qui le découvre tout comme moi. Oscillant entre jazz, électro, pop et musique répétitive, le groupe nous fait vite planer dans ses ambiances cinématographiques. Les deux instigateurs du groupe savourent et dirigent le jeu malgré tout follement libertaire. Et ce fut une excellente découverte.


Petite Scène du Moulin à 21 heures, allons écouter le duo de la bretonne Laura Perrudin (harpe chromatique électrique, voix, effets, looper) et de la californienne Salami Rose Joe Louis (synthétiseurs, voix, boîte à rythme, effets, looper), deux artistes qui étaient faites pour s’entendre de chaque côté de l’Atlantique. Un concert d’une heure joué pour la première fois devant nous, mélange de chansons écrites ensemble il y a quelques mois et d’improvisations. Laura Perrudin découvre l’univers de Salami Rose Joe Louis au détour d’un concert parisien. Chacune envoie alors un son à l’autre qui le transforme et le développe puis le renvoie à son expéditrice, et cela jusqu’à ce que se déploie entre elles un univers sonore luxuriant et cosmique.  Marciac les fait se rencontrer l’été dernier et ce soir nous découvrons leur univers en miroir d’âme sœurs entre sons électroniques et harmonies galactiques, entre chansons inter-dimensionnelles et improvisations sidérales. Un peu répétitif à mon goût.


Voilà venir celle que chacun attend chaque fois qu’elle se produit en concert à savoir la grande et irrésistible Youn Sun Nah. Surprise, ses beaux cheveux noirs ont blondi, mais à part cela, c’est toujours la même délicieuse et souriante personne, qui s’excuse presque d’être là et espère que vous allez passer une bonne soirée. Ce petit bout de femme me stupéfiera toujours et c’est chaque fois avec beaucoup d’émotion que je l’écoute. Elle est entourée cette fois de l’américain Brad Christopher Jones à la basse et contrebasse, de Tony Paeleman aux claviers et de Thomas Naïm aux guitares. Son dernier et onzième disque “Waking World” (Arts Music/Warner Music) est sorti l’an dernier avec onze titres aux climats fort différents dont elle a signé paroles, musiques et arrangements. D’où un climat très intimiste et introspectif. Presque vingt-deux ans de carrière et toujours un choc en entendant cette voix capable de grimper les octaves avec une force qu’on n’imaginerait pas en l’entendant simplement parler. Elle chante bien sûr les titres de son album, mais on entendra dans une sorte de décompte à rebours des titres des précédents albums comme Asturias d’Albéniz (“Immersion”) et dont elle livre une version époustouflante et haletante. Elle reste alors seule en scène avec sa légendaire petite boîte à musique pour chanter Killing Me Softly with His Song connu à travers les Fugees, puis enchaîne avec Lament de l’album “Lento”, un de ses titres à vous donner la chair de poule. Sometimes It Snows in April de Prince, puis Please, Don’t Be Sad (“Voyage”) suivent. Les trois musiciens qui l’accompagnent sont formidables (on avait entendu Tony Paleman dans son trio l’an passé) et elle conclue son concert avec Jockey Full of Bourbon de Tom Waits où elle va chercher dans son arrière-gorge des sons qui laisserait n’importe qui aphone avant de s’élever à nouveau dans les aigus. Le rappel fétiche Avec le Temps de Léo Ferré fait redescendre les pulsations cardiaques mais non pas l’émotion et c’est avec regret que nous la laissons repartir malgré des applaudissements nourris.


Le DJ Selecter the Punisher en fin de soirée sur la Scène des Platines eût bien du mal également comme hier soir à fédérer le public resté sur la planète Youn Sun Nah.

Dimanche 9 juillet

On commence à nouveau la soirée en fanfare avec cette fois le septet montpelliérain Gradisca inspiré par les Balkans. Gradisca, dans la langue de Fellini, c’est une invitation à profiter et pour la dernière soirée, c’était plutôt bien trouvé.

Car “Louise” du saxophoniste Emile Parisien est attendue de pied ferme à 20 hs sur la grande Scène des Platanes. Jeu de chaises musicales puisque ce soir, à côté d’Emile, on retrouve le fidèle Roberto Negro au piano et le trompettiste new-yorkais Theo Crocker. Mais ce n’est plus comme à Arles l’an passé Manu Codjia à la guitare mais Federico Casagrande, Gautier Garrigue remplace Nasheet Waits et Simon Tailleu succède à Joe Martin. Nous ne perdons pas au change avec une heure trop courte et intense d’un concert comme à son habitude de haute volée ! “Louise” est née en janvier 2022 sur le label ACT, en hommage aux sculptures araignées de Louise Bourgeois, en particulier la plus spectaculaire visible à Bilbao appelée “Maman” et symbolisant évidemment la maternité. Le concert commence d’ailleurs avec ce titre puis se poursuit avec Jojo, en hommage au pianiste Joachim Kühn qui avait repéré très tôt le talent du jeune saxophoniste soprano. Il se poursuit avec Memento en trois volets, dédié à la mère d’Émile, une partie dense et très poignante, pièce maîtresse où chacun exprime son talent sous l’œil d’Émile qui les couve du regard, en particulier Roberto Negro dans le dernier volet qui plaque sur le piano des accords qui laissent pantois. Il y laisse de sa personne d’ailleurs. Ovationné comme il se doit, le rappel se fait sur une superbe et mélancolique composition du trompettiste Prayer for Peace dans une entente quasi fusionnelle entre trompette et saxophone. Trop court vous dis-je et c’est à regret qu’on s’arrache à ce superbe concert pour se diriger vers la Scène du Moulin.


Et c’est une belle surprise qui nous attend avec le quartet Édredon Sensible, une gigantesque claque même ! A un point que j’ai très peu fait de photos, scotchée et hypnotisée par le son du groupe qui a fait un tabac. Oreilles sensibles s’abstenir, de même que ceux qui n’aiment pas la musique répétitive en boucles obsédantes amenant à un état presque second. Quatre toulousains complétement barrés non seulement par leur accoutrement mais aussi leur style de musique. Quatre chaman qui se sont bien trouvés avec Jean Lacarrière au saxophone ténor, Tristan Charles-Alfred au saxophone baryton, Antoine Perdriolle et Mathias Bayle à la batterie et percussions. Autrement dit et comme ils se définissent eux-mêmes, quatre types, deux qui battent des bras et deux qui soufflent. Et souffrent et transpirent dans cette chaleur estivale. Car il n’y a pas un instant de repos. Le style et le son me font penser d’abord au saxophoniste londonien Shabaka Hutchings dans sa formation Sons of Kemet avec également deux soufflants et deux batteurs, comme à Jazz à Junas l’an dernier. Et pourtant l’an passé je m’étais éclipsée. Alors que là, la magie a opéré. Une petite parenté aussi avec Imperial Quartet. Déjà deux disques à leur actif : “Vloute Panthère” en 2021 et “Montagne Explosion” paru en mars dernier sur le label Les Productions de Vendredi et une aura toulousaine maximum avec cette musique difficile à définir : du jazz tribal, punk, totalement bordélique, joyeusement foutraque et totalement jouissif. Des titres déjantés, des musiciens désaxés, bref, j’ai adoré ! A suivre de très près tellement c’est neuf et fou.


Changement de style et retour au calme avec le jazz très class du pianiste américain Kenny Barron venu en trio sur la Scène des Platanes avec Kiyoshi Kitagawa à la contrebasse et la californienne Savannah Harris remplaçant Jonathan Blake à la batterie. Excusez du peu mais c’est un sacré trio qui se produit ce soir. C’est leur première venue au Charlie Jazz et leur seule date en France cette année avec Marciac. Tout juste 80 ans pour le pianiste et près de 50 disques à son actif, le dernier “The Source”, en solo, est sorti en janvier de cette année sur le label Artwork Records. Il se fait d’abord un nom dans le quartet de Dizzy Gillespie dans les années 60 puis plus tard dans les années 80 dans le quartet du saxophoniste Stan Getz et a joué avec des centaines de musiciens dont plus récemment le bassiste Dave Holland. Bref, c’est une légende vivante qui va nous régaler ce soir avec une rare élégance. Quant à ses acolytes, ce sont aussi de sacrées pointures. La jeune Savannah Harris quant à elle est loin d’être une débutante. Car elle est aussi journaliste musicale et joue avec nombre de musiciens connus dont dernièrement Cécile McLorin Salvant. Le contrebassiste est lui aussi très connu, accompagnant  souvent Kenny Baron mais pas que (Brian Blade, Kenny Garrett) puisqu’il est aussi leader et compositeur d’une dizaine de disques. Le trio débute avec une composition du grand Wayne Shorter disparu cette année, Footprints, puis enchaine avec How Deep is The Ocean et son solo de contrebasse très applaudi.La douce ballade de Charlie Haden, Nightfall qu’il a joué d’ailleurs avec Kenny Barron, donne à nouveau la mesure de la maîtrise totale du sujet par les trois musiciens avec de nouveau une contrebasse impressionnante et un jeu de batterie remarquable de douceur. Sa célèbre composition Calypso en fait chalouper plus d’un sous les platanes. La comédie musicale de Broadway, Oklahoma s’invite ensuite sur le morceau The Surrey With The Fringe On Top. Un éventail vraiment surprenant et séduisant de ce pianiste éclectique où la contrebasse comme la batterie se font encore beaucoup remarquer. La superbe composition du pianiste Cook’s Bay s’envole alors sous les platanes où stridulent encore les cigales et terminera ce concert brillantissime, cadeau idéal pour cet anniversaire d’un quart de siècle de célébration du jazz sous les arbres centenaires du Domaine de Fontblanche.


Merci à Aurélien Pitavy, directeur artistique de ce festival, à Frank Tanifeani son président et à Loïc Codou son chargé de communication qui chaque fois me réservent le meilleur accueil et un très bon anniversaire à nouveau!

Florence Ducommun, texte et photos

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