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2022, l’Odyssée du Charlie Jazz festival

Le premier week-end de juillet est souvent réservé de facto sur l’agenda de tout jazzeux du sud qui se respecte. Tout invite à courir profiter de cet endroit merveilleux : un parc d’immenses platanes centenaires investis par les cigales et offrant une ombre appréciée, une programmation toujours prestigieuse sur deux scènes, une organisation sans faille assurée par le président de l’Association Charlie Free Aurélien Pitavy et son équipe de bénévoles passionné-e-s qui accueillent chaleureusement le public, une fanfare différente chaque soir qui déambule dans le parc où on peut se sustenter auprès de foodtrucks et boire un verre au bar tout en flânant. Bref, un vent de douce liberté souffle en ce début de vacances au Domaine de Fontblanche pendant trois soirs qui hélas passent trop vite. Et c’est toujours avec une certaine nostalgie que je regarde derrière moi pour vous raconter par le menu ce festin d’artistes à la fois internationalement connus ou prometteurs, comme sait le doser ce festival  qui en est à sa 24° édition.

Vendredi 1° juillet, c’est à 19hs que la Fanfare Infernal Biguine accueille les spectateurs avec une musique des Antilles qui ouvre le bal et fait tomber les derniers oripeaux de cette année encore contrainte.

A 20hs, l’accordéoniste Vincent Peirani entre sur la grande scène des Platanes accompagné de Federico Casagrande à la guitare et Ziv Ravitz à la batterie. Vincent Peirani est toujours cet artiste protéiforme qui déborde de projets différents et ce soir c’est en trio qu’il a construit «Jokers » avec le guitariste italien installé à Paris et le batteur israélien (qui a délaissé New-York pour venir vivre tout près à Ménerbes) eux aussi demandés partout. Un titre éloquent, pour trois jokers exigeants qui savent se remplacer mutuellement et se répondre tout en sourires et en joutes originales car cette formation en trio est pour le moins singulière, le disque étant sorti sur le label ACT en mars de cette année. Le plaisir est là, c’est élégant, malicieux, bien construit tout en laissant la place à l’improvisation. Les compositions sont variées, écrites par Vincent Peirani comme Salsa Fake, par FedericoCasagrande comme Twilight ou par le batteur qui amène Ménerbes  en rappel. Les cigales s’invitent et les musiciens en jouent. De jolies reprises également comme celle de Bishop Briggs avec River  ainsi qu’une certaine influence lombarde dans Ninna Nanna . C’est tout simplement beau, c’est Peirani. Pas une seconde d’ennui ni sonore ni visuel.


Leur succède à 21hs un trio féminin plus que prometteur concrétisant leur dernier projet après une résidence  de création au Moulin à Jazz situé dans le domaine de Fontblanche. Je veux parler de Line & Borders qui réunit trois artistes déjà bien connues : Leïla Soldevilla à la contrebasse, vue cette année passée deux fois à l’Ajmi d’Avignon dans le Kami Octet et à Arles dans le Jazz Expérience du guitariste Pascal Charrier, Emilie Lesbros au chant, écoutée cette année aussi dans le Kami Octet et Rafaëlle Rinaudo à la harpe vue dans les Éclaireuses à l’Ajmi et Ikui Doki à Junas. Une voix et une gestuelle enveloppées par deux instruments à cordes pour un jazz plutôt chambriste qui s’accommode mal du bruit avoisinant de la petite scène du Moulin, car on a envie de prêter attention au discours profond de ces trois musiciennes inventives très agréables.


Le très attendu Thomas de Pourquery arrive ensuite à 22hs sur la grande scène des Platanes avec son Supersonic et leur dernier projet « Back to the Moon ». Avec lui, on retrouve les habituels Laurent Bardainne au saxophone ténor (qui nous avait régalés l’an passé avec son “Tigre d’Eau Douce”), Frédérick Galiay à la basse, Fabrice Martinez à la trompette et bugle, Arnaud Roulin aux claviers mais c’est Franck Vaillant qui prend la place d’Edward Perraud. Je suis Supersonic, dix ans d’existence, dans chaque projet. Le premier écouté à Marseille en mai 2014 (“Thomas de Pourquery & Supersonic Play Sun Ra”) et à Coutances la même année ; puis Avignon en août 2017 au Cloître des Carmes pour “Sons Of Love”. J ’avais écouté le dernier opus choisi par Thomas Pesquet également à Jazz à Junas en juillet dernier. Un concert de ce groupe est toujours intense et généreux. Thomas invite les spectateurs d’ailleurs à laisser la consigne de leur verre pour SOS Méditerranée qui a posé son stand dans le parc et sa diatribe a certainement porté ses fruits. Thomas est autant un saxophoniste qu’un chanteur et conteur, le bon géant au grand cœur, trublion, fou du roi, et j’en passe. On ne perd pas au change avec le batteur qui trône un peu en hauteur et duos de saxophones et duo batterie saxophone survoltent le public. La folie de Sun Ra court toujours et ceux qui découvrent Supersonic sont bluffés. Yes, yes, yes yes pour Supersonic!


La très bonne surprise arrive en fin de soirée sur la Scène du Moulin où se produit Daida. C’est le batteur Vincent Tortiller qui mène ce groupe lauréat du Concours national de Jazz à la Défense 2021 avec à ses côtés Auxane Cartigny aux claviers, Arno de Casanove à la trompette, Samuel F’Hima à la contrebasse et Antonin Fresson à la guitare. Une excellente formation vraiment, sur une scène peu éclairée qui nuit à la photo mais sert fort bien le discours très percutant avec un talent formidable. Je reste scotchée par le son de la trompette. C’est détonnant et planant à la fois, impulsant une énergie qui me donne la pêche pour le long trajet de retour en écoutant leur disque “La passion du Cri” sorti en juin 2021 sur le label MCO que je vous recommande chaudement.


Samedi 2 juillet, le Liber Spiritus Jazz Band, le brass-band haut-alpin fait entendre ses notes et accompagne un moment amical de détente avec un délicieux curry de poulet. Nous tendons l’oreille pour nous précipiter à nos places réservées par un pull (petite combine de festivalier pour être près de la scène) afin de ne pas louper les premières notes du dernier opus Kutu du violoniste Théo Ceccaldi. Le musicien surdoué et adoubé par la contrebassiste Joëlle Léandre propose cette fois quelque chose de totalement différent. Né de la rencontre à Addis-Abeba avec deux chanteuses éthiopiennes Haleluya Tekletsadik et Hewan Gebrewold, le groupe se produit de partout son succès est déjà phénoménal. Il est bien sûr accompagné de son frère Valentin Ceccaldi à la basse, du batteur Cyril Atef (batteur de Mathieu Chedid entre autres) et de la jolie Akemi Fujimori aux claviers. La présence du groupe sur la scène est survoltée dès le départ ! Et pourtant, ils sont arrivés en retard de Slovénie le même matin tôt en perdant leurs bagages après des retards d’avion sans pouvoir se changer. L’équilibre est parfait, c’est prenant, les deux chanteuses ont une présence et une voix ensorcelante et le public ne tarde pas à bouger, quoiqu’un peu lent à sortir de la torpeur due à la chaleur. C’est une musique évidemment chaleureuse. Les compositions déjà connues comme Dantada, Bati ou autres s’enchaînent sur un rythme intense. Le son du violon convient totalement pour servir cette musique éthio-trans qui peut déjà s’inscrire dans la lignée du jazz éthiopien.


Scène du Moulin à 21heures, c’est un trio féminin non moins enthousiaste qui prend le relais. Il s’agit de Nout où croisent le fer Delphine Joussein à la flûte traversière, Blanche Lafuente à la batterie et Rafaëlle Rinaudo à la harpe vue la veille dans Line & Borders. Groupe sélectionné par le dispositif Jazz Migration 2021 avec Coccolite, Suzanne et le Charley Rose Trio, je lui donne la première place dans ma sélection personnelle par son inventivité, son punch incroyable, son côté électro et sa féminité. Une couleur unique qui attire aussitôt l’oreille comme Daida. Le concert démarre avec un solo de batterie sur un morceau intitulé Les Boulettes. Les cheveux de la batteuse virevoltent en tous sens. The Last Train fait s’agglutiner le public conquis. Thomas de Pourquery et Emilie Lesbros se joindront à elles à la fin, ainsi que Simon Sieger au trombone très souvent présent au Charlie Jazz pour le titre infernal Ça sent le Brûlé. On remarque dans l’assemblée le batteur Famoudou Don Moye venu entendre la jeune génération vraiment prometteuse.


A 22heures, le très attendu Crosscurrents Trio (Dave Holland à la contrebasse, Zakir Hussain aux tablas et Chris Potter au saxophone) investit la Scène des Platanes pour jouer leur dernière création « Good Hope ». Un trio anglais, indien et américain dont la réputation n’est plus à faire. Dave Holland joue sur une contrebasse de voyage, central au sens propre comme figuré. Le saxophone s’enroule autour comme un serpent hypnotisé par les tablas. Les paysages se succèdent. Au milieu des effluves de cannabis, le concert se déroule impeccablement mais sans véritable surprise. Ce sont trois artistes fabuleux, trois maîtres, mais un peu désincarnés je trouve. En dehors d’un duo fusionnel contrebasse tablas qui m’a tirée de ma rêverie.


La soirée se termine très tard avec Etienne Jaumet sur la Scène du Moulin, saxophoniste, claviériste, très connu dans le monde de l’électro jazz et qui invite ce soir son comparse Thomas de Pourquery tiré d’un sommeil bien mérité. C’est planant, dansant et très plaisant. Retour encore à 2hs du matin dans mes pénates !

Dimanche 3 juillet, déjà la dernière soirée. Il faut dire qu’avec les siestes obligatoires et le traitement des photos, le temps passe très vite. Nous sommes accueillis par une dernière fanfare, Ceux qui Marchent debout, un sextet très New Orleans. Chaque festival, les fanfares se suivent et ne se ressemblent pas.

A 20hs, me voilà ravie d’écouter enfin Tony Paeleman (aux Fender Rhodes et claviers) dont j’écoute souvent le dernier disque « The Fuse » depuis sa sortie en janvier 2021 sur le label Shed Music. Il est accompagné avec brio de Julien Herné à la basse et Stéphane Huchard à la batterie. Nommé Victoire du Jazz 2021 catégorie Révélation, le claviériste explose dans ce disque et sur scène avec ce projet électro-jazz qui suit deux albums acoustiques. Ayant accompagné Anne Pacéo et Vincent Peirani entre autres, il conduit ce trio magistralement concentré et aidé par ses acolytes avec sept compositions de sa création et deux de Julien Herné. En rappel arrive mon morceau préféré A Dance, une lancinante transe dont on ne lasse pas.Un trio qui aurait mérité à mon sens de passer en première partie sur la grande Scène des Platanes et dont je vous conseille l’écoute.


Arrive à 21hs le concert ultime, un des plus beaux entendus à ce festival, celui du trio du saxophoniste norvégien Jan Garbarek (avec Rainer Bruninghaus au piano et claviers et Yuri Daniel à la basse cinq cordes) qui invite ce soir le fabuleux percussionniste indien Trilok Gurtu). Un concert de plus de deux heures, passionnant du début à la fin avec bien sûr la sonorité reconnaissable entre toutes de Garbarek, mais qui a su se renouveler. Le musicien de 75 ans a la silhouette inchangée et est d’une élégance remarquable. J’avais découvert ce musicien en l’an 2000 avec passion et ne l’avais jamais vu sur scène. Le bassiste est prodigieux. Le pianiste monolithique sous ses airs endormis, développe une palette incroyable. Et c’est un Trilok Gurtu en très grande forme qui nous fait ses numéros comme un prestidigitateur avec une dextérité époustouflante et une rythmique efficace et jamais monotone.


Jan Garbarek se met souvent en retrait, laissant beaucoup de place à ses compagnons. Les solos de basse sont prenants, tout comme ceux du pianiste avec en particulier un ragtime des plus efficaces. Une composition commencée par le bassiste puis continuée par le pianiste puis le saxophoniste et enfin le percussionniste fait léviter la salle. Prodigieux. Le public aux anges applaudit à tout rompre et provoquera deux rappels avec standing ovation. Un concert qui fera date !

Un dernier petit tour pour l’after final prévu sur la petite Scène du Moulin afin d’écouter Antonin Leymarie.

L’ancien batteur du Surnatural Orchestra présente son nouveau projet électro en solo sous le nom d’Hyperactive Leslie. C’est étonnant comme un musicien puisse être timide et se demandant si son projet va plaire lorsqu’il nous le présente en décrivant les idées qu’il a eues. Nous sommes une petite quarantaine à écouter ce nouveau type d’homme-orchestre plongé dans la pénombre et les spots tournants. A se trémousser également, car impossible de rester de marbre avec ce rythme électro. Joli after que beaucoup ont boudé préférant rester sur le charme du concert de Jan Garbarek et on ne peut leur donner tort. C’est toujours difficile de passer d’un univers à un autre.

Retour moins tardif que les autres soirs avec déjà le cœur un peu gros de rompre cette atmosphère unique au Charlie Jazz. J’aime ce festival et le répète partout : « Allez au Charlie Jazz Festival ! ». J’en profite pour remercier toute l’équipe avec en particulier Aurélien Pitavy et son chargé de communication Loïc Codou qui m’ont sollicitée cette année pour exposer onze de mes photos avec celles de deux autres photographes sur le thème des femmes passées à Charlie Free. Longue vie au festival ! et à l’année prochaine !

Florence Ducommun, texte et photos

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