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Florilège automne hiver à l’AJMI

La Cité des Papes a le privilège d’avoir un club de jazz que les fidèles lecteurs de Jazz’In connaissent bien. Je parle de l’Ajmi d’où s’échappent des fenêtres certains soirs de la semaine, une musique bien subversive comme l’aiment les amoureux de liberté. Voici donc le résumé de quelques concerts mémorables auxquels j’ai eu la chance d’assister. 

Jeudi 5 octobre, c’est la rentrée des (master)class avec le guitariste Andrew Sudhibhasilp tout juste arrivé de Chicago accompagné de la chanteuse Julia Minkin à l’occasion du concert donné le soir même par le trompettiste et bugliste Christophe Leloil pour son dernier opus “OpenMindeD” en compagnie également du batteur Cédrick Bec et du contrebassiste Pierre Fenichel. Imaginé et travaillé au moment du confinement, le disque est sorti en décembre 2021 sous le label Onde Records et produit par Arts et Musiques en Provence. Il s’agit du quatrième album du trompettiste en tant que leader et c’était important pour Christophe de faire vibrer cette dernière création dans les murs de l’Ajmi en raison des liens forts qui l’unissent au club.  


La salle est pleine et surchauffée, les oreilles attentives et l’intro presque solennelle à la trompette de Christophe fait aussitôt mouche dans la composition Con Frontera, bientôt suivie par le trio basse, guitare, batterie déjà plaisamment surboosté. Julia Minkin rentre alors en scène pour Unisson mis en paroles par ses soins et devenu Armistice sur sa proposition. Elle enchaîne avec le joli et chantant Chemical sur une ligne de basse obsédante, suivi de Red Note à la métrique difficile à trouver. Les compositions ne sont pas toutes du trompettiste et bugliste. C’est ainsi qu’Andrew Sudhibhasilp a écrit Paper Anniversary et Julia Minkin y a posé ses paroles pour un résultat très mélodieux. Un beau bonus nous est accordé avec sa mise en musique d’une poésie de E.E. Cunnings, Maggie and Milly and Molly and May, qui n’est pas sur le disque. C’est alors que Cédric Bec se lance dans un solo de batterie d’anthologie fort applaudi de près de sept minutes, d’une douceur et précision remarquables introduisant le superbe AndaLucia. Une composition mélancolique du batteur Watching the Children Play, clôt le concert, avec un rappel enthousiaste sur une autre qui ne l’est pas moins de Julia Minkin, Lovelessness. Saluons ce concert de rentrée très openminded effectivement, brassant diverses influences dont un certain côté folk lié à la jolie voix de la chanteuse, avec une guitare fine et délicate, une contrebasse enthousiaste et habitée, une batterie symbiotique pleine de retenue et bien sûr une trompette et bugle à la fois maîtresse et servante de ses acolytes, toujours à l’écoute et fédératrice. Du joli travail d’équipe qui sera joué en triangulaire les deux soirs suivants à Aix en Provence puis à Marseille. 

Jeudi 9 novembre, c’est un public attentif et passionné qui a accueilli le trio Ostrakinda. Composé du bassiste Olivier Lété, du trompettiste et bugliste Aymeric Avice et du batteur percussionniste Toma Gouband, c’est un paysage étranger tout à fait inattendu qui s’est déroulé devant nos yeux (car il fallait absolument regarder) et a surpris nos oreilles. Ostrakinda, sorte de jeu enfantin de la Grèce Antique, équivalent pile ou face, jour ou nuit, sied bien à ce trio original maniant la lumière et la noirceur presque inquiétante de ses sonorités inattendues. Une inventivité à revendre dont les protagonistes ne sont pas avares, la bassiste à l’origine de pratiquement toutes les compositions utilisant nombre d’artifices (cylindres, cubes, corde tendue, archet…) de même que le batteur avec une gamme minérale (large pierre posée en équilibre) ou végétale (gousse géante, branches, baguettes…) dans une improvisation permanente sur une trame d’écriture tendue. Frottements, gémissements, bruissements, grincements mais aussi des phrasés apaisés après la tempête qu’on imagine dans une forêt primitive, nous ont tenus en haleine. Peu de titres révélés en dehors d’Une Fois par Jour pendant un Jour ou de la pièce finale Historical dédicacée au bassiste trop tôt disparu Philipe Gareil. Bref, des musiciens pluriels vraiment passionnants pour une musique fascinante et très originale qui ont enchanté tout le monde. 


Jeudi 23 novembre le mistral est de retour, il fait froid et pourtant le concert prévu est complet. Est-il encore besoin de présenter les musiciens qui viennent jouer ce soir ? Un trio germano-franco-britannique dont le leader est le saxophoniste Daniel Erdmann, vous devinez de qui il s’agit ? C’est le Velvet Revolution composé également de Théo Ceccaldi au violon et Jim Hart au vibraphone. Métaphore de la Revolution de velours en Tchécoslovaquie, ce trio revendique ainsi l’envie de changement et la conviction de pouvoir influer en douceur mais avec persistance sur ce qui nous entoure. Huit ans d’existence avec trois disques à leur actif, le dernier joué ce soir “Message in a Bubble” (clin d’œil à Sting) vient de sortir en septembre 2023 sur BM Records après avoir été enregistré à Budapest l’an dernier. Le prolifique et surdoué saxophoniste a souvent joué à l’Ajmi avec son trio Das Kapital, Vincent Courtois ou Claude Tchamitchian entre autres. De même le violoniste dans son trio Django ou le vibraphoniste avec son trio Cloudmakers il y a quelques années. Quant au troisième volet du trio Velvet Revolution, c’est avec une parité exacte que les compositions ont été écrites, à savoir trois chacun.  


On commence avec Maybe Tomorrow de Theo Ceccaldi, qui illustre parfaitement la façon dont les trois musiciens fonctionnent et se synchronisent à partir d’un ostinato de Jim Hart dans un jeu de questions réponses captivant. Suit Drunk with Happiness d’Erdmann nous révélant sa cinquantaine récente avec un blues gai et enjoué d’une simplicité trompeuse. Changement de ton avec la composition planante et onirique amenée par Jim Hart, Mumble Jumble. C’est là que l’on se rend compte de la résonnance de leurs héritages respectifs, tandis que l’ensorcelant et répétitif Danke, Wirklich Danke du saxophoniste nous fait tourner la tête. Le rêve éveillé continue avec Yume, rêve en japonais, du violoniste, tant il est vrai que le vibraphone, qui introduit cette composition, a cette capacité à nous rendre songeur, rejoint par un violon joué à cordes pincées avec un ténor tout en douce chaleur. Nous entendrons aussi The Only Solution de Jim Hart, In My Song, There is a Secret du saxophoniste (magnifique solo de saxophone), écrit sur les paroles d’une lettre d’amour, mais il n’en dira pas plus, sauf en musique ! Un premier faux rappel avec Velvet Tango de Jim Hart sera suivi d’un vrai rappel sur un ancien morceau du trio, Infinity Kicks In, le tout dans une ambiance festive et pleine d’humour que nous connaissions déjà bien avec Daniel Erdmann. Ce concert fut un vrai plaisir, très accessible, empli d’une douceur de velours, au timbre chaleureux et tendre. Alors on ne peut que dire au trio : “Danke, virklich danke!” 

Jeudi 7 décembre, c’est avec les trois B, Balthazar Naturel au cor anglais, Blaise Chevallier à la contrebasse et Baptiste Thiébault à la batterie que nous montons dans BUS ELECTRIQUE qui vous embarque sans crier gare à l’insu de votre plein gré dans une folle équipée sonore. Trois musiciens que j’ai trouvés remarquables dans ce voyage de folie. Mais expertisons déjà cet étrange bus à trois roues motrices. A la conduite Balthazar Naturel en chaussettes, multi instrumentiste passé du piano au hautbois, avant de se rapprocher du jazz avec la contrebasse puis le saxophone. Ce soir, il s’empare du cor anglais qui n’est pas plus un cor qu’il n’est anglais, mais un grand-frère du hautbois, qu’il a électrifié. Le résultat en est dépaysant, avec un son mélancolique, pénétrant et surprenant. A ses côtés, le contrebassiste Blaise Chevallier dont on ne compte plus les implications dans différents groupes, en contrôleur méthodique appliqué et concentré. Le troisième larron est le batteur en cuisinier fou jonglant avec baguettes, balais, clochettes ou tube, soufflant à travers ses cymbales, et nous inondant de sourires malicieux. Lui aussi a une biographie impressionnante. De ce trio inhabituel sortant d’une résidence de quatre jours à l’Ajmi et travaillant sur ce projet depuis plus de deux ans, ne pouvait sortir qu’un résultat magnifique.  


C’est un concert totalement improvisé ce soir, qui durera approximativement soixante-quinze minutes que l’on aurait souhaité voir se prolonger. Premier morceau sans titre commençant sur un mode presque orientaliste avec des boucles répétitives qui montent en tension croissante soulignée par l’intense implication de la section rythmique et les envolées hypnotiques de l’amplification du cor anglais. Le second morceau distille une atmosphère inquiétante avec ce hurlement étouffé, lancinant et glaçant de bête aux abois. Blaise Chevallier est en mode monomaniaque sur sa contrebasse avant de prendre quelques libertés et le batteur toujours aussi déjanté. Balthazar Naturel conduit le bus au millimètre près sur sa console. C’est addictif et prenant. Changement d’ambiance sur le troisième morceau calme et posé, de facture presque classique au départ avant une fin presque flippante, où Baptiste Thiébault est toujours à l’affût d’une dernière trouvaille et sait distiller un minimalisme étonnant pour une batterie. Atmosphère, atmosphère ! Le dernier morceau intitulé Brefito est introduit à la contrebasse puis monte en puissance pour les derniers kilomètres qui tournent autour d’une note obsédante avant le dernier arrêt. Déjà arrivés ? Il faut descendre hélas, pleine d’admiration devant ce sans filet qui nous a été présenté ce soir avec une maîtrise rare. Une réelle inventivité doublée d’un plaisir palpable à jouer ensemble, beaucoup de surprises, il n’en fallait pas plus pour m’enthousiasmer tout comme le public qui a fortement applaudi ce soir ce trio novateur. Alors oui, je suis montée et remonterai sans hésitation pour repartir en voyage dans ce bus magique. A noter que le concert a été enregistré ce soir pour le label Ajmilive avec un son impeccable grâce à Nicolas Baillard. 

En hiver, autrefois, c’étaient les veillées qui réunissaient et réchauffaient les corps et les cœurs autour d’un bon feu. En janvier à l’Ajmi, ce sont les teajazz des dimanches à 17hs qui jouent ce rôle où chacun est ravi de se retrouver pour partager pâtisseries, boissons et moment musical intimiste puisque ce sont souvent des pianistes en solo qui nous emmènent en voyage. Ce dimanche soir 14 janvier, c’est une merveilleuse conteuse qui joue dans une salle comble tout acquise à sa cause, la pianiste marseillaise Perrine Mansuy que nous connaissons bien au travers de ses différentes formations. Elle s’est lancée comme défi la réalisation d’un disque en solo nommé “Murmures”, commencé en 2019, enregistré au studio de La Buissonne en octobre 2022 puis sorti l’an passé en février. Tous les thèmes de ce soir sont des compositions personnelles qui reprendront la majorité des titres du disque mais pas uniquement, le tout dans une grande liberté et échanges chaleureux avec le public.  


Elle commence avec Fil Rouge, illustration parfaite de la création de ce solo qui a nécessité temps et maturation, puis continue en chantonnant sur un air de blues (Entre Source et Nuage) découvrant peu à peu un univers changeant empli de sensibilité et de poésie parti de sources d’inspiration variées telles qu’un voyage sublime au Canada avec First Light on Muskoka. L’utilisation d’une mailloche sur les cordes du piano et de la réverbération produit un effet magique traduisant bien son imagination lors de la vision de la lumière sur le lac au petit matin. Suit un morceau très mélodieux et inspiré, Les Quatre Vents, écrit il y a quelques années pour l’album “Vertigo Songs”, suivi d’une composition que la pianiste n’a encore jamais jouée intitulée Les Noces du Lézard Amoureux. Retour à son disque “Murmures” avec My Chinese Lullaby avant de se lancer dans Momentum, où elle donne la clé de ce mot signifiant l’élan, le moment où on se lance dans la réalisation d’un projet tel ce solo. L’utilisation à nouveau de la réverbération amène beaucoup de finesse. Un premier rappel très émouvant avec Gone with The River dédicacé au contrebassiste Jacques Bernard est l’occasion pour la pianiste de rappeler que c’était hier qu’elle était venue jouer à l’Ajmi tout intimidée devant Jean Paul Ricard alors président du Club, avec son trio initial incluant ce musicien pour son premier album “Autour de la Lune” en 1998. Et puisqu’il est question de temps, un dernier rappel en clin d’oeil sur Time Eats Us Alive de l’album “Les Quatre Vents” concluera ce très beau concert, servi par un son impeccable grâce à Nicolas Baillard et Bruno Bertrand , mettant parfaitement en valeur le toucher chantant et clair de la pianiste pour une musique qui respire et nous a fait voyager et rêver au sein d’un hiver morose. 

Jeudi 8 février, les concerts habituels reprennent après les teajazz de janvier avec Gilles Coronado et les quarante doigts de LA MAIN. Une reprise haut la main, sans mauvais jeu de mot avec la dernière formation du guitariste. Une main à géométrie variable passant du duo avec son vieux complice le batteur Christophe Lavergne, au trio avec le trompettiste Olivier Laisney son voisin parisien, et selon les opportunités incluant la musicienne Sarah Murcia (au synthétiseur basse SH 101 cette fois, pas de basse ni contrebasse) et la clarinettiste Elodie Pasquier. Ces deux dernières sont d’ailleurs les invitées du disque sorti début décembre de l’an dernier sur le label Onze heure onze. Originaire d’Avignon, ce guitariste chaleureux aime venir jouer chez nous et n’a pas pris la grosse tête malgré ses multiples collaborations. Gilles Coronado est une tête chercheuse, libre, se frottant à toutes sortes d’artistes et produisant des œuvres singulières. Je l’ai souvent entendu ici ou à Paris, comme Sarah Murcia d’ailleurs du temps de son quartet Caroline et c’est toujours un régal. Pour le trompettiste, c’est sa première venue à l’Ajmi, mais je l’avais écouté avec un grand bonheur à Apt en mai 2022 dans son projet “Yantras” en compagnie de Magic Malik à Porquerolles en juillet de la même année avec également ce dernier pour le projet du flûtiste “Jazz Association”. Quant au batteur lui aussi un habitué de notre club (avec Louis Sclavis ou Sylvaine Hélary entre autres), c’est aussi une valeur sûre, qui additionnée aux autres musiciens, ne pouvait qu’attirer les fans de jazz. Et c’est donc la première fois qu’ils jouent ensemble dans cette configuration singulière.  


Une entrée en matière avec une première composition Tous des Animaux, hommage au groupe de pop rock expérimental américain Animal Collective, où l’on perçoit tout de suite l’énergie collective qui monte crescendo avec une guitare jouissive aux belles sonorités très personnelles, une trompette claire et brillante et une batterie implacable, le synthé faisant le lien entre les trois points du triangle parfaitement équilatéral. Gilles Coronado présente chaque composition du disque avec humour, laissant à chacun la possibilité d’exprimer son talent et sa palette de couleurs, mettant au goût du jour l’adage des Trois Mousquetaires. Les huit mains aux quarante doigts se conjuguent et se répondent en toute liberté autour des thèmes donnés avec une énorme générosité et une grande part d’improvisation. Les compositions se suivent comme une partie de cache-cache pleine de malice et de passages secrets. Mais elles ne se ressemblent pas, comme une récente au tempo très lent, absente du disque et se nommant Glisse ou celle nommée Morton ou François, suivie par Où Tu Veux dont les quatre minutes finales de batterie solo sont une démonstration autant brillante que subtile du talent fou de Christophe Lavergne. Le rappel se fera sur une composition ancienne du guitariste nommée Freecycle qu’il jouait déjà avec le batteur dans le disque “Urbanmood”. Au final, un beau symbole que cette belle MAIN, sujette à de multiples entrées, pour un superbe concert très apprécié et du public et de ma petite personne comblée par trois instruments que j’apprécie plus que tout et qui jouera le lendemain au Moulin à Jazz de Vitrolles. 

Jeudi 15 février, le Couleur.s Trio du pianiste Pierre Boespflug a fait remonter à ma mémoire mon adolescence bercée par Olivier Messiaen. Voilà bientôt 26 ans que ce grand compositeur, organiste et pianiste né à Avignon nous quittait après avoir fortement imprégné son siècle. Et beaucoup de musiciens continuent à être influencés par son enseignement et sa singularité. C’est ainsi que le pianiste lorrain a voulu rapprocher son univers jazz de celui de ce maître incontesté. Accompagné d’Eric Echampard à la batterie et de Jérôme Fohrer à la contrebasse, il a joué devant un auditoire un peu dispersé, peut-être rebuté par la thématique. Quel dommage, car ce fut une magnifique surprise, une explosion de couleurs justement, comme pour expliciter le nom du trio. Et on sait que la couleur était une des caractéristiques de la musique de Messiaen, lui qui se disait synesthète et voyait les notes en couleur. “Si Olivier voyait ça !” comme l’a suggéré le contrebassiste à la fin du concert, il aurait été fort honoré je pense de l’approche du pianiste. Ce dernier mature en effet ce projet depuis près de six ans, d’abord en solo, puis en trio avec les musiciens de ce soir, avant de s’enrichir de trois autres musiciens en sextet joué en janvier dernier à l’Arsenal de Metz (avec Régis Huby au violon, Matthias Mahler au trombone et Thomas Bloch aux ondes Martenot, instrument fétiche de Messiaen). Le disque éponyme du trio est sorti l’an passé au sein de La Cie Latitudes 5.4 regroupant une quinzaine de musiciens de la région Grand Est et dont le pianiste est l’un des fondateurs et directeurs artistiques.  


Ce tableau dressé, ce fut une heure trente de brillantes compositions toutes jouées ce soir, les dix exactement du disque, mais dans le désordre, à peine troublé après deux morceaux par un petit incident technique sur la contrebasse de voyage. Inspiré notamment par son Catalogue d’oiseaux et par le Quatuor pour la fin du Temps, ce concert fut un vrai régal et une piqûre de rappel. J’ai encore le souvenir vivace d’un concert à la Salle Poirel de Nancy où était joué “Vingt Regards sur l’Enfant-Jésus” qui m’avait transportée. Autobiophonie débute avec un duo introspectif piano contrebasse avant d’exploser sous les mains du batteur à la frappe sèche et précise. Esquisses, puis Amnésies (anagramme de Messiaen) continuent sur un registre tonique de cascades de notes colorées. Le trio nous en met plein les oreilles, dans le bon sens du terme, avant d’aller decrescendo. On y retrouve de fréquentes allusions au monde de Messiaen pour qui l’a déjà écouté, comme dans le remarquable Rue de l’Étoile qui fait référence à la passion que le compositeur avait de relever le chant des oiseaux qui l’a fortement inspiré. Suivent le séduisant Catharsis et Dos à Dos au registre plus posé et calme, se rapprochant plus de mes souvenirs de Messiaen. Un remarquable solo de contrebasse introduit Confine en Sol Mineur écrit durant le confinement, suivi de Modadis. Le titre suivant conviendra parfaitement pour qui possède le disque et se le repasse plusieurs fois puisqu’il s’intitule Bis Repetita Placent, tandis que Couleurs messiaeniques conclue l’inspiration du pianiste de manière éblouissante avec un tonnerre d’applaudissements. Le rappel se fera sur Clair Obscur, terminant un concert fort apprécié où sons, rythmes et harmonies ont illustré les couleurs comme l’imaginait Messiaen, grâce à la palette très étalée du pianiste contenant une grande richesse de timbres, avec une batterie incontournable structurant et colorant le propos et une contrebasse essentielle comme colonne vertébrale. Il faut dire qu’Eric Echampard et Jérôme Fohrer sont les compagnons idéaux de ce projet du fait de leur riche parcours respectif. Bref, une musique énergique mais également poétique et extrêmement raffinée qui a fait notre bonheur ce soir. 

Enfin, jeudi 22 février, le club est complet pour écouter le Trio Vercors, les fans de jazz étant attirés de prime abord par le nom de Louis Sclavis qui jouait ce soir-là en compagnie du guitariste Richard Bonnet et du batteur Adrien Chennebault. Le célèbre saxophoniste et clarinettiste est un habitué du club, que ce soit en duo, trio ou quartet, tandis que c’était une première pour ses comparses. Le trio prend le nom de Vercors en lien avec cette montagne où vivent le batteur et le guitariste, Louis Sclavis habitant pour sa part dans le Jura. Mais ce choix n’est-il pas aussi un synonyme de liberté, de grand air et bien sûr de Résistance ? Référence absolue en matière de musique improvisée, que j’ai eu le plaisir d’entendre l’an passé à Parfums de Jazz, puis à Jazzèbre pour jouer “Les Cadences du Monde”, le clarinettiste a bien insisté en présentant le trio, sur la notion de collectif démocratique total sans chef appartenant aux trois musiciens à part égale. “Ni Dieu ni Maître” a-t-il précisé avant de prendre sa clarinette en si bémol pour un décollage immédiat nous embarquant aussitôt dans le monde stupéfiant de la totale improvisation. Il faut dire que ce musicien prolifique, compagnons des principales figures du jazz comme Henri Texier, Michel Portal et tant d’autres, a su choisir deux autres magnifiques improvisateurs. Richard Bonnet d’abord, autodidacte venu à la guitare par la basse, a collaboré avec nombre de musiciens tous passés à l’Ajmi, tels que Hasse Poulsen, Stéphane Payen, Dominique Pifarély, Régis Huby, Guillaume Roy, Tony Malaby et j’en passe. Il est un des directeurs artistiques du collectif de compositeurs improvisateurs La Forge basé à Grenoble et soutenu par JAZZ(s)RA. Il utilise ce soir une guitare électrique à sept cordes. Tandis que le batteur Adrien Chennebault fait partie lui, du Tricollectif basé à Orléans rassemblant dix musiciens également fort appréciés au club comme les frères Ceccaldi entre autres. Grand voyageur, ses influences sont multiples. Il était donc grand temps qu’ils soient accueillis à l’Ajmi.  


On peut parler de happening ce soir avec ce concert unique puisque totalement libre sans aucune partition ni ligne générale. C’est carrément un sans filet et il faut être sacrément fort pour jouer plus d’une heure de cette manière. Louis Sclavis alterne clarinette basse et clarinette en si bémol, il en tire des sons incroyables, des souffles imitant presque ceux d’une locomotive avec un éventail d’effets type slap ou growl et les rugissements déconcertants de la clarinette basse. Tandis que Richard Bonnet imperturbable utilise tout le potentiel de la septième corde plus grave qui augmente le champ (chant ?) des possibles et fait alterner les mélodies avec des lignes carrément de basse. Adrien Chennebault joue les yeux fermés, un léger sourire aux lèvres, lançant parfois des sons gutturaux comme s’il était en transe. Sa panoplie est immense. Il en résulte un foisonnement musical intense, alternant des passages puissants, tendus et de plus doux et délicats. La conversation des trois instruments, qui s’octroient simplement deux petites pauses, est extraordinaire. A un moment, on se croirait presque dans une séance d’exorcisme avec Sclavis en grand sorcier développant une mélopée incantatoire soutenue par une batterie tribale et une guitare inquiétante tout en glissando puis cordes pincées. Un grand moment assurément. Tout comme le dernier morceau répétitif autour de la guitare de Richard Bonnet, avec la clarinette en si bémol en ligne de basse grâce au souffle continu de Louis Sclavis et les mouvements de scie du batteur. Un rappel tonique puis tout en délicatesse terminera ce grand concert très applaudi en majesté, dont une trace restera grâce à un enregistrement AJMiLIVE et les photos, bel exemple d’impermanence amenant à savourer absolument le moment présent. Le trio se produira le lendemain à Marseille puis Sète avant d’aller jouer plus tard à Lyon. Mais ce sera sûrement un autre concert ! 

Voilà donc une petite rétrospective en pointillés puisque je n’ai pu assister à tous les concerts, démontrant l’éclectisme et la passion de notre club avignonnais toujours à la pointe d’une programmation exigeante grâce à son directeur Julien Tamisier. Qu’il en soit ici remercié, ainsi que son équipe pour son accueil toujours sympathique.

Florence Ducommun, texte et photos

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