Brumes en suspension flottant sur des feuillages verdoyant, bruissant sous la brise, souffle continu du vent, respiration vitale, filet d’eau courant entre la roche, puis ruisseaux, cascades, torrents, dévalant les pentes abruptes des montagnes, grondements de tonnerre, éclairs déchirant le ciel, Jean-Pierre Layrac nous avait prévenu, s’il n’y avait qu’un seul concert à voir et écouter, c’était celui de Kazé, révélation majeure, magnifique quartet, tel les quatre éléments de cette nature magique du pays Toy, l’air, l’eau, la terre et le feu.
Souffle léger et continu des cuivres, bruissement des balais sur les peaux des tambours, cristaux d’ébènes et d’ivoire, pianissimo, lents crescendos imperceptibles, progression de la musique qui enfle vers des paroxysmes, poussée par les grondements du piano, le martellement des toms, les éclats de cymbales, poussant les trompettes vers des unissons accélérés jusqu’à l’extase, Kazé, beauté créatrice.
Luz et le jazz ont une âme, proposant des rencontres vibrantes, sans frasques ni étoiles trop brillantes, offrant aux allumés de musique, à la recherche d’émotions fortes sans peur des frontières, des moments intenses d’aventures musicales, comme l’expérience folle de Caravaggio, jouant en concert une autre musique, sur le film des frères Larrieu ” l’amour est une crime parfait”, fusion incroyable de l’improvisation du quartet, sur les images et les dialogues, sans altérer la lecture du film.
Comme le décoiffant Nate Wooley, et sa trompette acoustique ou amplifiée, caressée, triturée, démontée, bricolée, détournée, délicieusement subversive, performance époustouflante, qu’il renouvellera en duo avec le fantastique pianiste catalan, Augusti Fernandez, qui nous éblouira avec une impressionnante séquence de piano préparé, les deux musiciens terminant leur concert, sur un émouvant hommage à Charlie Haden.
Comme Le Cri du Lustre, quatuor à cordes dérangé, deux altos, deux violoncelles, qui alterne du silence au bruitisme jusqu’à de belles nappes ostinato, passant à la moulinette, ses cordes, archets, caisse, mêlant des réminiscences baroques aux échos sonores expérimentaux, dignes des Arditti.
Comme le décrié ONJ d’Olivier Benoît, remettant les pendules à l’heure des critiques intégristes, offrant une interprétation magistrale et puissante, de la suite “Paris Europa”, avec un son de groupe, mêlant rock, dérapages free, jazz, orchestration flamboyante, virtuosité instrumentale et engagement ardant des onze musiciens.
Comme les mythiques guitaristes du rock bruitiste, Thurston Moore et Andy Moore, saturant leurs amplis, triturant leurs cordes, sur des textes lus “in french” par AJ Chaton, le trio basculant dans un chaos sonore alternatif et décapant.
Comme ce jeune trio Piak, jouant avec une grande sincérité, un free-jazz fervent, engagé, proche de la transe, jubilatoire et nostalgique, ou l’étonnant Antoine Mermet, en voix solo amplifiée, alternant le borborygme au gargouillement, le murmure et le cri, puis le hurlement jusqu’au dernier souffle de l’agonie,
ou encore Toma Gouban, l’homme aux percussions minérales, qui nous plonge dans une vision imaginaire des percussions préhistoriques.
Comme Didier Lasserre, poète minimaliste de la batterie, concentré sous un grand chêne, dont le feuillage bruissait sous le souffle du vent, en écho aux vibrations du musicien.
Enfin, comme pour désacraliser ce que la musique improvisée peut avoir de ridiculement sacré, l’humour des Charentaises de Luxe, désopilante fanfare de rue, les clowneries de Roudolpho, ou encore les rockeux pur jus des Taikonauts, au son Shadows revisité par les Clash tendance Stray Cats, chauffaient à blanc le public des rues, abolissant définitivement les chapelles.
Christian Pouget
