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Songs for Louisa

Laurent Bonnot OuLiPo Quartet

Christophe Monniot (as), Ricardo Izquierda (ts), Laurent Bonnot (b), Éric Échampard (dms)

Juste une trace

Date de sortie: 07/04/2023

Le nouveau groupe réuni par le bassiste Laurent Bonnot pour défendre ses compositions illustre, par l’absence de clavier ou de guitare, le procédé créatif le plus connu de l’OuLiPo : le lipogramme. Ce quartet est donc un nouvel avatar de ce qu’au temps de Gerry Mulligan ou d’Ornette Coleman on étiqueta « pianoless quartet ». Référence à la West Coast qui n’est pas fortuite, tant l’écriture qui associe alto et ténor rappelle celle de ces petits ensembles où brillaient de merveilleux funambules. Mise en avant de la ligne et son souci premier, fondus, chevauchements, couleurs : on ne peut éviter de penser à ces clochards célestes. Il serait pourtant raisonnable d’arrêter là la comparaison. En effet, bien de ce qui s’est passé depuis s’est également déposé dans ces plages. Le rock, l’électricité ; la production. Car ce qui nous cueille d’entrée, c’est une conception du son, concertée, sophistiquée. La grosse-caisse et la basse en relief, comme détourées, les saxophones détachés par une réverb au dosage évolutif, et, entre les deux, l’immense espace vacant de ce lipogramme acoustique, immédiatement identifiable, que vient combler par moments quelques vagues de synthèse dispensées par un usage d’autant plus efficace que parcimonieux de la whammy (Ode to my boy). Or, dans cet éclatant écrin, sur le support d’une basse moelleuse et ronronnante, chatoient des solistes renvoyant avec fougue feu pour feu, tout attachés à diffracter les mélodies tendrement lumineuses qui leur sont confiées. Inspirées et dédiées à ses enfants par Laurent Bonnot, elles tiennent de la berceuse ou d’une forme très élaborée, filigranée, de la comptine ou, chantournée, de la ritournelle savante. Sont convoqués ensemble dans une ambiance presque trip-hop, les mates virevoltes de Lee Konitz et Warne Marsh passées au laminoir des arpenteurs qui leur ont succédé, hybridées de leurs ardeurs musclées. Une synthèse aussi malaisée que le passage du Nord-Ouest, aussi périlleuse que le passage du Cap Horn, mais qui rétribue au centuple et l’esprit et l’oreille. D’abord par le charme d’une écriture fluide (Song for Louisa), dont les développements tout en volutes de Monniot, et comme dédoublés par le ténor d’Izquierda, se jouent – sans le lisser – de son caractère volontiers segmenté ; par des arrangements aérés ensuite, dans lesquels peuvent évoluer librement les solistes tour à tour éloquents, joueurs ou voltigeurs, une basse à l’élasticité qui ne manque pas d’évoquer celle de Steve Swallow – et Funny Gait enfonce le clou de cette référence avec sa marche façon Carla Bley – et une batterie à la fois ample et contenue ; par les sortilèges enfin d’une prise de son et d’un mixage qui s’impose comme le cinquième élément de ce quartet. Car l’espace vacant évoqué plus haut n’est pas seulement inscrit dans la musique, il est plus encore le résultat d’un travail rien moins qu’innocent, celui de Rémi Bourcereau. Détachant les plans, il les fait glisser l’un sur l’autre, joue de la profondeur de champ, des matières. L’espace n’est pas réduit à sa dimension englobante, il s’immisce activement entre les instruments, les sertit : il construit[1]. Agissant comme un chef-opérateur aux côtés du réalisateur, c’est par ses soins que nous parvient la musique de Laurent Bonnot qui aura su réunir autour de lui un véritable équipage avec lequel aborder dans la sérénité les eaux dormantes, agitées ou troublantes des régions guère limitrophes du jazz – « rock » ou « libertaire » –, de la  « samba », de la « parade » pour y tracer d’autres routes  sans jamais perdre de vue l’étoile qui les guide vers ce que, faute de mieux, nous avons déterminé comme un « ouest » imaginaire.

Philippe Alen


[1] Rémi Bourcereau, dans L’espace dans le documentaire radiophonique, désigne le lieu vers lequel nous sommes entraînés comme « une scène impossible, un lieu où le récit se noue et se dénoue, un réel si accentué qu’il devient fiction ».  Mémoire disponible en ligne (smem09bourcereau.pdf (lesonbinaural.fr)).

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