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Lê Quan Ninh: Extraterrestre ou pas ?

Extraterrestre ou pas ?

Chaque saison emmène ses fruits et ses légumes, il en est de même pour les festivals. Comme pour les produits de la terre, l’été est le moment d’abondance des concerts. C’est à la période du raisin proposé en grappe et en bouteille à sa buvette, que le festival les Emouvantes a produit sa 6ème édition.

Le programme éclectique, promouvant la création avant-gardiste est la spécificité de ce festival d’automne, le fondateur contrebassiste émérite Claude Tchamitchian, confie que le but du festival est de diffuser à un public le plus large possible des musiques peu représentées en région PACA.

Aussi c’est en pleine conscience, comme dirait John Kabat-Zinn, fondateur de la mindfulness méditation, que du 26 au 29 septembre 2019, j’assiste à la mouture annuelle du dit festival. La carte du menu de chaque soirée est digne de celui des grands restaurants gastronomiques de la cité phocéenne.

Les trois premières soirées s’enchainent et confirment la qualité des prestations, de surcroit l’accueil et les rencontres y sont chaleureuses et conviviales.

Le samedi marque la fin du festival, ambiance particulière où on dit au revoir aux gens rencontrés et avec qui on a partagé des moments privilégiés d’écoute. C’est donc avec du vague à l’âme que j’assiste au lever du rideau à 19h00, premier concert de cette dernière soirée. Est-ce la tension des trois jours, la nostalgie de fin de festival, mais une sorte d’appréhension est présente ? Ma raison me rassure, le titre de la prestation « Autour de John Cage » devrait me ravir, j’affectionne ce compositeur américain, grand chercheur sur le son et je ne compte pas le nombre de fois où j’ai vu son documentaire « Sound », révélation sur la libération du son.

De plus le photographe Jean-Yves Molinari, que j’ai rencontré et avec lequel j’ai sympathisé depuis quatre jours me confie avoir vu plusieurs fois le percussionniste qui va se produire et me dit beaucoup l’apprécier.

Le nombre de spectateurs est assez réduit, à côté de moi un jeune garçon de six/sept ans.

Après une rapide présentation de Claude Tchamitchian, arrive Lê Quan Ninh, T-shirt noir et jeans, un instrumentarium très réduit : une grosse caisse, trois cymbales, un triangle et quelques accessoires.

Rapidement le musicien s’engage dans sa prestation, les gestes sont sobres, les sons percutants et surprenants. Mon jeune voisin ne semble pas perturbé ou choqué (je songe que s’il est là, les adultes qui l’entourent dans sa jeune vie doivent être ouverts à ce type d’univers sonores, je pense que ça l’aidera dans sa vie future). Le frottement effectué par la cymbale sur la peau de la grosse caisse me ramène au concert, le son qui en émerge est grandiloquent, digne de la bande son d’une charge guerrière d’un film à grand spectacle. Me voilà à nouveau embarqué !

Le musicien semble suivre un fil conducteur invisible et cependant une forme de liberté émane des sons produits.

Puis il présente une pièce au triangle écrite par Alvin Lucier, les harmoniques fusent de partout, un feu d’artifice d’une quinzaine de minutes, l’attention de Lê Quan Ninh est extrême, il semble ne pas bouger et cependant des univers sonores différents emplissent la salle.

Quand Lê Quan Ninh interprète le morceau « Composed improvisation for Snare Drum Alone » de John Cage, il propose tant d’émissions sonores avec aussi peu d’instruments, est-ce de l’ordre du miracle ?

Le concert prend fin, je regarde ma montre, stupéfait je m’aperçois qu’une heure est passée.

Je m’approche alors de la scène, où le musicien répond avec tranquillité aux questions posées par le public. Il explique que dans la pièce d’Alvin Lucier, le mode opératoire est strict, toute les 20 secondes, l’interprète doit modifier un seul paramètre, comme la vitesse, ou le lieu d’impact de la batte avec laquelle il joue, afin de permettre à l’auditeur de repérer ce que le paramètre modifié apporte comme changement.

Un spectateur plus téméraire le félicite d’avoir une parfaite maitrise, Lê Quan Ninh lui répond que la maitrise parfaite n’existe pas.

C’est en fin de festival, en « after » comme disent les anglophones, que j’interpelle le percussionniste à la buvette « Je ne savais pas que dans ce festival des extraterrestres jouaient ? » il me répond, « je ne suis pas un extraterrestre, je suis de la planète terre ».

Je reviens sur la réponse qu’il a faite après sa prestation, sur la notion de maitrise, il nous dit travailler tous les jours comme tout le monde. La grande difficulté qu’il a eu ce soir est de prendre du recul, car il a ressenti une forte tension avant le concert. Je lui demande est-ce que c’était lié à la peur de ne pas jouer correctement le morceau. Il ne pense pas, la performance ne représentant le moteur de sa pratique. Il est arrivé à calmer son angoisse en imaginant être à la place du public, en prenant du recul il se retrouve dans la position de l’enfant qui va découvrir ce qui va se passer. C’est cette découverte par l’écoute, mélange d’excitation et de curiosité qui est le moteur de son activité d’artiste.

Je lui demande les souvenirs qu’il a des années où il jouait dans des orchestres et des ensembles comme 2e2m. Il ne se reconnaissait pas dans les musiciens qui étaient titulaires depuis plusieurs années.

Maintenant, même s’il joue dans d’autres ensembles plus petits, il est beaucoup plus libre, notamment dans le choix de son lieu de vie à Saint-Silvain-Sous-Toulx  dans la Creuse. Il a choisi un lieu calme, où il passe 4 voitures par jour, ce qui lui permet de travailler le son. Depuis quelques années il y a créé un festival « Le bruit de la musique ». Il anime également des ateliers d’improvisation et d’écoute dans les écoles et le milieu rural.

Il se pose souvent la question : pourquoi les gens viennent-ils aux concerts ? et comment arrive-t-il à improviser, lui qui voulait devenir astro-physicien ?

Même si ses questions restent sans réponses, il est indéniable qu’il est animé par le désir de réveiller la fonction d’entendre,  fonction bouleversante présente en nous tous.

Cela répond peut-être à la question titre du livre du philosophe Françis Wollf « pourquoi la musique ? » qu’il nous recommande de lire.

Cette transmission qui me semble importante pour lui me porte à lui parler des percussionnistes de la nouvelle génération. Il nous confie ne pas comprendre les jeunes musiciens qui ont comme seul moteur réussir aux concours pour intégrer un orchestre et avoir un salaire garanti : « ma compagne et moi-même, nous ne comprenons pas ces personnes ». A ce moment, je lui renouvelle ma question « vous ne pensez pas être un extraterrestre ? », il répond « peut-être que vous aviez vu juste ».

Jean-Constantin Colletto (texte) – Jean-Yves Molinari (photos)

 

Pour en savoir plus sur Lê Quan Ninh.

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Merci beaucoup pour cet article et les photos. Que grâces soient rendues à Claude Tchamitchian de m’avoir invité à jouer un tel programme dans le contexte d’un festival de jazz. Cordialement.

Lê Quan Ninh

24/01/19

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