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The music of William Parker

LES COFFRETS D'APRES NOËL

“Migration of Silence Into and Out of The Tone World” [Volumes 1–10]

The music of William Parker

Centering Records / Orkhêstra

Que de chemins parcourus depuis cette journée de mars 1973 où le contrebassiste William Parker poussa pour la première fois la porte d’un studio d’enregistrement. C’était à l’occasion du Black Beings du saxophoniste Frank Lowe pour le label ESP.

Depuis, combien de disques, de concerts autour du globe, de festivals (et notamment le Vision Festival crée par sa femme Patricia Nicholson-Parker et par lui-même) ? La discographie de William Parker est pléthorique, sa place dans l’histoire du jazz mille fois reconnue et sa facilité à passer d’un univers à l’autre idem.

Ce coffret de 10 compact disc met en avant le Parker compositeur mais se veut aussi –et surtout-  un recueil de poésie dédié aux peuples en recherche de liberté et ayant écarté en eux toute notion de haine, racisme, sexisme et cupidité. Les voix féminines (vocalistes ou instrumentistes) font office d’axe central.

La jeune chanteuse Raina Sokolov-Gonzalez illumine de sa voix funky et féline le premier CD (Blue Limelight). Tempos binaires où se désagrègent quatre violonistes (dont Jason Kao Hwang) en mal de dissonances, croisements de cordes audacieuses voire périlleuses, balades sans pathos ni grandiloquence, jazz patraque et désorienté : ici, sont démontreés -et bientôt amplifiées- quelques-unes des nombreuses facettes du William Parker compositeur.

Repérée il y a une quinzaine d’années par William Parker et riche d’une discographie conséquente, la pianiste Eri Yamamoto assure en solitaire l’interprétation de Child of Sound, deuxième CD du coffret. Généreuse dans ses improvisations, elle emprunte les paysages compositionnels de Parker avec une aisance naturelle. Impliquée dans chaque pièce, creusant au sein de la mélodie ou de l’harmonie, appliquée à ne jamais déborder du cercle et toujours lyrique, elle anime chaque parcelle de la partition de son aura obsessionnelle. Et d’un disque débuté dans la joie et se clôturant dans la demi-teinte, on ne pourra qu’écrire le sérieux –et la beauté- de l’entreprise.

Curieux –mais attachant- troisième CD (The Majesty of Jah). S’y entrechoquent les figures de James Baldwin, Jah, Ronald Reagan. Débutée par un collage (Baldwin) mettant en scène la voix de l’écrivain et la trompette multirisque de Jalalu-Kalvert Nelson, le tout mis en son et espace par Ellen Christi (une vieille connaissance du contrebassiste), la suite du programme assume sa singularité. Ainsi du presque chuchoté The Majesty of Jah en passant par l’éclaté Freedom vont s’enchaîner l’africanité solaire de Sung Song, l’intensité du trio Parker-Nelson-Christi (Numbers), le tout sous le haut patronage du chant cristallin de dame Christi.

Singulier parcours que celui de Kyoko Kitamura. Vocaliste, elle entreprend de sérieuses études musicales avant de se reconvertir dans le journalisme télévisuel puis d’abandonner son poste pour mieux réintégrer le milieu musical. Elle côtoie alors William Parker, Steve Coleman et collabore régulièrement avec Anthony Braxton. Au centre de Cheops (CD 4), elle surgit telle une voix succube charmant ou déstabilisant un combo où brille la paire Matt Moran-William Parker. Dans cette inquiétude crée par tous, elle est celle qui rugit, éructe, ensorcèle et si l’on retrouve ici les traits habituels du compositeur à savoir cette manière de rendre poreux le couple composition-improvisation, on ne s’étonnera pas des clins d’œil adressés aux regrettés Roy Campbell et Joe Harriott.

Harlem Speaks (CD 5) c’est Fay Victor, Hamid Drake et William Parker. Ça commence par un duo voix-drums dans la plus pure tradition jazzistique et ça se poursuit en balade cajoleuse. Entre temps est apparue la ronde et économe contrebasse de Monsieur Parker et, presque aussitôt, l’improvisation prend le relais. Ces trois-là (ces trois amis-là plutôt) vont naviguer en swing majeur, faire du détail une symphonie (diversité inouïe du jeu d’Hamid Drake), faire éclater une soul inoubliable, explorer recoins et diverticules, inclure l’orient dans leur jazz et, surtout, magnifier Harlem puisque c’est de cela, précisément, dont il est question ici.

Pour évoquer Mexico (CD 6), William Parker s’entoure de musiciens américains (Jackson Krall, Kevin Murray, Rachel Housle, Jim Clouse, Matt Lavelle, Matt Lambiase), mexicains (Jean Carla Rodea), marocains (Brahim Fribgane) et israéliens (Ariel Bart, Ohad Kapuya, Illay Sabag). Avec toujours cet esprit de révolte et de liberté qui anime le musicien, la musique ici proposée remballe les frontières au profit d’une œuvre commune édifiée dans l’échange spontané (j’ai plus d’une fois pensé au Kulu Se Mama de Coltrane ici). Mettez un harmonica et un oud ensemble et l’échec est assuré. Mais laissez traîner la contrebasse de William Parker et le miracle advient. En vérité, il est impossible de décrire cette musique puisqu’aucune esthétique ne prend le pas sur l’autre. Pas de mixage ici mais un heureux mélange de sensations et couleurs. Vives et chaudes les couleurs.

Les plus anciens d’entre-nous se souviennent peut-être de l’inégal –et très mal enregistré- Live at Irving Plaza, curieux ovni au sein de l’aventureuse galaxie Soul Note – Black Saint. Ellen Christi et Lisa Sokolov en étaient les maîtres d’œuvre (comme elles le sont aujourd’hui, à nouveau, dans ce coffret) et William Parker était déjà de la partie. Lisa Sokolov assure seule Afternoon Poem (CD 7) soit quinze poèmes signés William Parker. La vocaliste ne surcharge jamais le trait, allonge la note de manière charnelle, magie du re-recording : dialogue avec elle-même, assume une folie contrôlée, hausse le ton, chuchote, fait de son chant une pureté inégalée et toujours déclame un blues profond et intemporel. Belle leçon de soul music Madame.

Cinéphile (Alphaville Suite inspiré par Godard), William Parker rend ici hommage à quelques-uns des plus talentueux réalisateurs italiens (Visconti, Fellini, Pasolini, Leone, De Sica, Rossellini, Antonioni : il ne manque guère que Ferreri et Bellochio) avec le huitième volet de ce coffret (Lights in the Rain). Evitant de singer les compositeurs accolés aux cinéastes transalpins (pas de ronde fellinoninorotienne ou de texture gassliniantononien), le compositeur s’il n’évite pas toujours des contours nostalgiques offre un rôle important à l’harmonica (Ariel Bart) et à l’hautbois (Jim Ferraiuolo). Découvertes donc à lesquelles il faudra rajouter la tonique chanteuse Andrea Wolper trop peu entendue dans nos contrées.

The Fastest Train (CD 9) est une curiosité. Trois instrumentistes (William Parker, Coen Aalberts, Klaas Hekman) armés d’instruments traditionnels pour un folklore plus qu’imaginaire. La flûte –sous toutes ses formes- est l’instrument moteur et passeur de ces treize improvisations. L’impression de se retrouver dans la savane, dans la vallée de la mort, chez les Dogon, en Chine ancestrale, en forêt tropicale, dans la jungle amazonienne, chez les touaregs soit au sein de contrées profondes et vierges de tout écran numérique. Teintes sombres et graves, ludiques quand les flûtes dialoguent vivement avec toujours cette obsession toujours intacte d’espaces libres et affranchis.

Manzanar (CD 10) fut le premier camp d’internement américain destiné aux américains d’origine japonaise pendant la deuxième guerre mondiale. Le quatuor à cordes Universal Tonality String Quartet use de dissonances bien garnies, de cordes conspiratrices, de réminiscences bartokiennes, d’intranquilité constante et de frayeurs partagées. William Parker s’y invite avec un orgue de bouche thaïlandais et des flûtes ancestrales ajoutant à l’inquiétude déjà prégnante une aura crépusculaire. En fin de disque le saxophoniste Daniel Carter, fidèle parmi les fidèles, vient adoucir de son alto velouté une partition désormais consonante.

Pour qui douterait encore de la singularité de William Parker, ce coffret vient à point-nommé pour témoigner –et ce, magnifiquement- de la richesse de l’œuvre parkerienne. Indispensable.

Luc Bouquet

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