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Wadada Leo SMITH “Trumpet” & “Sacred Ceremonies”

LES COFFRETS DE NOËL

Entre le 26 et 29 juillet 2016, Wadada Leo Smith enregistrait au sein de la St. Mary Church de Pohja en Finlande la bagatelle de trois disques de trompette solo. Il avait débuté l’expérience en décembre 1971 pour son propre label Kabell (Creative Music – 1) et récidiva  une dizaine de fois depuis (un record pour un trompettiste !). Entre temps il passa par l’AACM, enregistra aux côtés de Leroy Jenkins, Marion Brown, Henry Threadgill, Anthony Braxton, rendit hommage au Miles Davis électrique et créa le Golden Quartet (Anthony Davis, Malachi Favors, Jack DeJohnette). Entre autres choses…

“Trumpet”

Wadada Leo Smith : tp

TUM / Orkhêstra

Le premier CD de Trumpet débute par une émouvante évocation d’Albert Ayler (clarté et sensibilité du phrasé). Rashomon est un hommage au film d’Akira Kurosawa et à celui qui lui fit découvrir, le cinéaste expérimental Robert Fenz. En cinq parties, Smith lance de rauques appels, gargarisme et nervure son souffle, perce l’azur de son aigu tranchant. Entre égosillements et épaisseur du souffle, Howard & Miles s’inspire d’une photographie de William P. Gottlieb. Metallic Rainbow, en hommage à Steve McCall et Sauna clôturent un premier disque à l’inspiration jamais prise en défaut.

Comme jadis avec Miles, la trompette (avec sourdine) de Wadada n’a d’autre choix que d’être profonde. On pourrait presque parler de trompette de cérémonie tant les deux premières compositions du deuxième CD sont dédiées à Malik al-Shabazz et Shaykh Abu al Hasan al-Shadill, l’un des premiers saint Sufi. En cinq parties The Great Litany s’entoure d’apaisement et de méditation. Consonante et mesurée, la trompette de Mister Smith demeure un oasis de paix et de sérénité. Sérénité que l’on retrouve lors d’un hommage au violoniste Leroy Jenkins mais qui se perd au profit de tranchantes élucubrations freejazzisantes quand il s’agit d’évoquer l’écrivain James Baldwin.

Anti-spectaculaire, se servant des silences comme autant de fondus au noir, la trompette de Wadada s’invite tour à tour solaire ou lunaire. Solaire quand prise d’envie de barouder ou de s’aventurer loin des sentiers battus, elle s’impose, virulente et accidentée, offrant à son chant pincements et rauques harmoniques (Trumpet). Lunaire quand solennelle et précise, elle accueille pauses et suspensions (Family / A Contemplation of Love). Rien de nouveau dans ce troisième CD si ce n’est la confirmation d’un souffle ouvert à tous les possibles.


“Sacred Ceremonies”

Wadada Leo Smith : tp / Milford Graves : dr / Bill Laswell : b

TUM / Orkestra

Aussi étonnant que cela puisse paraître, Wadada Leo Smith et Milford Graves n’avaient jamais croisé le fer ensemble, le premier semblant avoir pour percutants préférés Messieurs Pheroan AkLaff ou Jack DeJohnette. C’est chose faite désormais avec le premier CD du coffret Sacred Ceremonies. Le jeu teinté d’africanité du percussionniste-guérisseur s’oppose à celui du trompettiste : action en continu pour Graves, art des silences choisis chez Smith. Et pourtant, ici, tout séduit et convainc : souplesse, densité, entente, endurance, complémentarité, interaction, autant d’atouts suffisamment nombreux pour faire de cette première rencontre une totale réussite. Une première mais aussi une dernière, le batteur décédant cinq années plus tard.

Sans doute le plus évident pour un profane (deux instruments harmoniques cela crée consonances), le second CD met en scène Wadada Leo Smith et Bill Laswell. Si par le passé le bassiste-producteur gâcha quelques galettes (n’est-ce pas Pharoah Sanders ?), il trouve en Wadada Leo Smith un trompettiste, apte à lui répondre et à enrichir la palette sonore des duos. Plus accompagnateur que soliste (mais tout sauf un faire-valoir), le bassiste électrique parsème son accompagnement d’effets discrets (accords fuyants, sonorités mécaniques, nappes harmoniques) électrisant le phrasé d’un trompettiste ravi de l’aubaine. Ainsi, la sonorité de Wadada n’a jamais semblé aussi pure, aussi apaisée, aussi épurée. Aussi riche d’évidences.

Tous trois réunis sur l’ultime CD, trompettiste, bassiste et percussionniste ne laissent rien échapper : pas plus leur soif de continuum (la paire Graves-Laswell) que leur besoin vital de respiration (le trompettiste s’éclipsant pour mieux ressurgir foudroyant d’intensité).  Le drumming si particulier du maître-chaman Milford lance ici ses dernières sagaies : jeu intrépide où se côtoient et se rejoignent tous les rythmes-mouvements de l’univers. Et cela est magnifique. Comme est magnifique la trompette-appel d’un ange nommé Wadada, lequel depuis une dizaine d’années reste fidèle au label finlandais TUM. A  l’heure où j’écris ses lignes, deux nouveaux disques sont en cours de publication. De quoi fêter dignement les 80 ans du trompettiste.

Luc BOUQUET

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