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Florilège hivernal au Moulin à Jazz

PETIT FLORILEGE HIVERNAL DE CONCERTS AU MOULIN A JAZZ DE VITROLLES

Le ” Moulin à Jazz “, inauguré en octobre 1994, est une scène très prisée des amateurs de jazz et des musiciens qui viennent y jouer. Elle est située dans le Domaine de Fontblanche où se trouve également une plus vaste salle de théâtre qui se prête à certains plus grands concerts avec le soutien de la municipalité de Vitrolles depuis bientôt vingt ans. Le Moulin d’ailleurs très vite étroit certaines fois, va être bientôt agrandi. Une programmation régulière avec un directeur exigeant, Aurélien Pitavy et une équipe dynamique connue sous le nom d’Association Charlie Free en font un lieu incontournable où je me rends régulièrement. Le Domaine sert aussi d’écrin au Charlie Jazz Festival le premier grand W-E de juillet. Cet hiver, j’ai écouté plusieurs concerts dont voici le compte-rendu.

Samedi 4 décembre, « Majakka », la dernière création du pianiste Jean-Marie Machado a enfin pu être jouée au Théâtre de Fontblanche, après deux reports dûs au Covid. Enregistré au studio de la Buissonne en septembre 2020, le doux nom de Majakka à la consonance orientale est d’origine finnoise et signifie Le Phare. Quoi de plus approprié quand on sait que le pianiste a été inspiré par son parcours musical et ses souvenirs de collaboration plurielles qui sont autant d’éclats lumineux. Mais c’est aussi un joli signal pour nous en ces temps de tempête pour nous guider et nous éclairer.

C’est donc un quartet all stars cette fois qui change de son orchestre Danzas. L’accompagnent en effet le saxophoniste Jean-Charles Richard, membre de Danzas depuis plus de 12 ans, passant du saxophone soprano au baryton, mais sans la flûte cette fois, avec une aisance et un son toujours aussi formidables. Aux côtés du pianiste qui lui jette souvent des regards furtifs, il y a le violoncelliste Vincent Segal dont la réputation en tant que sideman n’est plus à faire, tout en recueillement et écoute, habitué de toutes les musiques du monde. Le pianiste le connait depuis sa collaboration avec le percussionniste brésilien Naná Vasconcelos. Tout comme le percussionniste Keyvan Chemirani connu à travers le monde entier avec son zarb mais aussi le daf et dont la façon de jouer non seulement avec les paumes, mais aussi avec les doigts convient parfaitement au pianiste.


Trois compositions sont inspirées par les souvenirs de La Main des Saisons, oratorio profane créé autour de l’œuvre du poète Fernando Pessoa : “Bolinha” qui ouvre le concert, joyeux mais presque mélancolique, “Um Vento Leve” et le tonique “Emoção de Alegria” où le duo en forme de joute mémorable entre Jean-Charles Richard et Keyvan Chemirani au zarb fera date ! “Les Yeux de Tangati“, jolie composition faisant allusion à une petite sri-lankaise, nous ramène à sa collaboration avec Dave Liebman dans Eternal Moments, avec un jeu de violoncelle très proche du sitar. “Gallop Impulse” quant à lui est une composition d’Impulse Songs où jouait déjà Keyvan Chemirani avec une très jolie intro en solo du musicien. D’autres morceaux sont des créations écrites au moment de l’enregistrement comme “Les Pierres Noires” du phare breton vanté par le pianiste, “La Mer des Pluies” en solo et “Outra Terra” joué en rappel d’un concert enthousiasmant, plein de poésie et de lyrisme, faisant une belle synthèse de toutes les influences musicales multiculturelles du pianiste, qui ne devraient pas être que musicales pour nous tous. Et en cela Majakka est un beau symbole.

Vendredi 7 janvier, l’année commence bien au Moulin à Jazz avec le concert du contrebassiste Michel Benita et son New Quartet  (Jozef Dumoulin au Fender Rhodes, Yoann Loustalot à la trompette et Dré Pallemaerts à la batterie). J’avais assisté au concert de son groupe Ethics au Théâtre de Fontblanche il y a 5ans déjà pour la sortie du disque “River Silver” sur le même label ECM qui continue son partenariat avec le contrebassiste pour ce nouveau projet enregistré au studio de La Buissonne en septembre 2020, portant le nom de “Looking at Sounds“. Encore une inversion malicieuse, petit clin d’oeil à “Listening to Pictures“, création de 2018 du trompettiste américain Jon Hassell que Benita apprécie infiniment.

Merveilleux contrebassiste au toucher chantant et délicat, Michel Benita s’entoure à nouveau de la fine fleur du jazz, le bugliste Mathieu Michel et le batteur Philippe Garcia du disque cédant leurs places respectivement au trompettiste Yoann Loustalot et à Dré Pallemaerts. Nous ne perdrons pas au change.


Toutes les compositions sont du contrebassiste hormis “Dervish Diva” coécrit avec Mathieu Michel qui entame le concert, “Berçeuse/Gwell Talenn” inspiré de la très belle harpiste bretonne Kristen Noguès au parcours d’étoile filante trop tôt disparue, “Elisian/Inutil Paisagem” en hommage à la chanteuse brésilienne Elis Regina puis inspirée par Carlos Jobim dans sa seconde partie et “Cloud to Cloud” écrit avec ses compagnons de disque. Les morceaux s’enchaînent devant un public conquis subjugué par tant de qualités réunies: imagination, lyrisme, délicatesse, énergie comme le tonique “Islander” suivi du doux “Low Tide” avec en rappel, un hommage à Joni Mitchell à travers “Back from the Moon” du disque “River Silver“.

Le trompettiste Yoann Loustalot, vanté par Enrico Rava et comparé à Chet, venu en décembre dernier dans cette même salle avec le batteur Christophe Marguet, fait merveille, totalement en symbiose avec Michel Benita. Tandis que le batteur belge Dré Pallemaerts qu’on a vu souvent derrière Joe Lovano, Philip Catherine, David El Malek, Bill Carrothers, Baptiste Trotignon et bien sûr les frères Belmondo, est totalement engagé dans un jeu très musical et contrasté. Quant au discret Jozef Dumoulin compatriote du batteur qu’il connait bien, c’est la cheville ouvrière sans qui rien ne serait possible, lui le spécialiste du Fender qui sait en tirer tous les sons possibles amenant cette touche si planante en totale harmonie avec la trompette en particulier. Un concert formidable donc, avec une salle pleine qui n’a pas eu peur de sortir pour s’en mettre plein les oreilles et placer cette nouvelle année sous le signe du bon son à regarder.

Vendredi 4 février, voyage en terra incognita au Moulin à Jazz avec le dernier projet de la chanteuse Élise Dabrowski intitulé “Parking“. Chanteuse atypique venant du classique et également contrebassiste, beaucoup tournée vers la musique contemporaine, elle nous a délivré une musique totalement libre créée pendant le confinement, comme une fenêtre ouverte sur un univers délivré des contraintes. Entourée du tromboniste Fidel Fourneyron et du bassiste Olivier Lété, le concert prend quelques distances par rapport au disque paru en août dernier sur le label Full Rhizome, en cela qu’il est plus riche d’improvisations vocales et instrumentales qui enrichissent le propos du disque.


Tantôt en français, tantôt dans une langue totalement inventée à la consonance proche de celle des pays de l’Est, la voix d’Élise est particulièrement subjuguante: onomatopées, scat, jeux de mots pleins d’humour, gymnastique proche de la rupture, bégaiements presque, cette voix originale nous embarque très loin. On s’éloigne aussi du disque par la gestuelle et l’incarnation vivante et charnelle des trois musiciens qu’ils nous offrent en direct, illustrant une fois de plus l’importance d’aller “voir” les concerts et non seulement les écouter sur sa platine! Il y a la voix certes, mais aussi le cadre très élastique du bassiste et tromboniste eux-mêmes réputés qui ont aussi chacun leur trajectoire libre et accompagnent à merveille cette voix venue des entrailles avec les feulements très charnels du tromboniste et l’inventivité tellurique de la basse.

Un début et une fin avec deux “Balades” planantes en diable proches de la transe, encadrent des textes poétiques ou dramatiques comme “Peut-être es-tu immobile à la fenêtre” du dramaturge Falk Richter ou “Faire s’écrouler les choses”. Une suite de petites improvisations interchangeables entre les trois musiciens sur une “Gavotte” accentue leur complicité, tandis que le titre éponyme “Parking” est totalement jouissif par l’acuité lucide de la phrase: “Avant je voulais changer le monde et maintenant je ne pense plus qu’à ma place de parking”… tout est dit avec une conclusion féroce sur la petite box où nous allons tous terminer! Un petit rappel en impro totale où Élise nous apprend qu’elle aurait voulu être un trombone mais n’a qu’une voix, conclura ce concert de haute voltige, coup de cœur personnel que je voulais vous faire partager.

Vendredi 25 février, le Moulin était plein à craquer pour la venue de la nouvelle coqueluche du jazz, la contrebassiste Sélène Saint-Aimé. Récompensée dans la catégorie Révélation aux dernières Victoires du jazz, la jeune femme qui chante également de manière délicieuse, a joué en trio son premier disque “Mare Undarum” mais également des compositions du second disque à venir fin mars “Potomitan“.

Venue relativement tard vers 18 ans à la musique à la suite de circonstances qui la poussent dans cette direction, ses talents sont vite reconnus par Steve Coleman qui la prend sous son aile et la pousse à venir à New-York où elle fait la connaissance des contrebassistes Lonnie Plaxico et Ron Carter. Des rencontres, des voyages dans les pays de ses racines afro-caribéennes, une grande intelligence et sensibilité lui permettent en peu de temps d’absorber et de transcrire à sa manière ce qui était sans doute enfoui en elle. Et à peine dix ans plus tard, la voilà propulsée sur toutes les grandes scènes internationales.

Dans le disque, la contrebassiste est accompagnée par Guillaume Latil au violoncelle, Mathias Lévy au violon, Irving Acao au saxophone ténor, Hermon Mehari à la trompette et Sonny Troupé au tambour Ka et batterie. Ce soir, ce seront simplement Irving Acao d’origine cubaine, et Boris Reine-Adelaide, musicien martiniquais spécialiste du tambour Bèlé au jeu si particulier (mains et talon) qui l’entoureront. De cette distribution rapprochée ressort une ambiance épurée, en particulier lorsque la jeune femme sollicite à la fois ses cordes vocales et celles de la contrebasse, ou lorsqu’elle joue en duo avec l’un ou l’autre de ses musiciens.


Nous entendrons bien sûr le titre éponyme du premier album faisant référence à un des cratères lunaires (Sélène dans la mythologie grecque est la déesse de la lune), deux compositions inspirées par le batteur américain Doug Hammond qu’elle affectionne particulièrement, un lancinant et mélancolique “Ezili“, divinité haitienne vaudou de la beauté et de de l’amour et un hommage à Heitor Villa-Lobos et sa Suite Populaire Brésilienne avec “Bezaudin” (lieu de naissance d’Edouard Glissant à la Martinique) qui clôturera le premier set. Un joli petit solo sur “My Favorite Things” entame le second set, suivi d’une référence à Moussorgski avec “Cum Mortuis in Lingua Mortua“. Un superbe poème en solo de contrebasse “White Birds, Silver Tree“, suivi d’un hommage tout particulier à Rosa Bonheur à travers “Paene Umbra: chez Rosa B.” faisant partie d’un tryptique de poèmes avec “Partialis” et “Totalis” confirment la finesse de cette musicienne. A noter l’accord parfait du trio, le saxophoniste Irving Acao accompagnant à merveille Sélène, de même que le percussionniste en adéquation parfaite avec le côté afro-caribéen du concert. En rappel, une petite improvisation en trio terminera ce concert à la fois grave et léger, très applaudi, qui ne pouvait que plaire par son côté world music plus accentué que sur le disque que j’ai préféré pour ma part.

Samedi 19 mars, c’est le saxophoniste Sylvain Rifflet qui revient  jouer au Théâtre de Fontblanche après le succès de “Mechanics” en 2016. Il venait présenter cette fois son dernier opus “Aux Anges” en concert pour la première fois, le disque ayant été fort bien accueilli à sa sortie le 25 février sur le label Magriff. Il y retrouve le sublime trompettiste finlandais Verneri Pohjola, présent sur le discret et précédent disque “Troubadours” tombé hélas dans les oubliettes du Covid et est toujours entouré des fidèles percussionniste Benjamin Flament et guitariste Philippe Gordiani pour notre plus grand bonheur.

Honneur à la jupe, une première à Vitrolles ! Toujours original Sylvain ! Et ce soir, c’est entouré de ses anges musiciens, qu’il nous livre sa musique la plus personnelle et intime nous raconte t’il. Des anges à qui il rend hommage aussi et qui l’accompagnent depuis qu’il est tombé dans la grande marmite du jazz, qu’ils soient musiciens, artistes ou écrivains, vers lesquels il retourne inlassablement se ressourcer et qui l’inspirent sans cesse.

Le concert mélangera subtilement des compositions du dernier disque donc, mais aussi de “Troubadours” à la jolie tonalité médiévale. Il commence avec “The Viking’s Waltz” et sa petite boîte à musique écrit en pensant à Moondog et Verneri Pohjola que Rifflet affectionne à travers une entente unique et palpable. Puis il continue avec l’émouvant “Abbey” pour Abbey Lincoln, dont la mélodie est influencée par “Summer Wishes, Winter Dreams” (elle y était entourée de Stan Getz et Hank Jones). Une petite déviation par le morceau “To Z” tiré de l’album “Alphabet“, faisant référence à Costa-Gavras bien sûr mais aussi à Bojan Z que le saxophoniste apprécie également et où le duo guitare dans un son très électro comme sait le produire Philippe Gordiani et le percussionniste, marquera vivement les esprits. “Le Murmure” commencé dans la douceur termine dans l’emballement, tandis que le bien nommé titre “Mésanges” nous restera longtemps en mémoire avec sa jolie ritournelle. “Déjà vu” aurait pu s’intituler déjà entendu par son écriture à la manière des compositeurs répétitifs américains.


Un second set commence par un hommage à l’écrivain James “Baldwin”, enchaîne sur “Sven Coolson”, le pseudo de Stan Getz, construit autour d’un ostinato du percussionniste qui règne en maître sur son appareillage complexe, puis un plus sombre et séduisant “Beatrice”. “Akward Commute” est un clin d’œil à son ami saxophoniste Jon Irabagon, tandis que le titre à la manière de Claude Sautet, “Ryuichi, Fennesz, Alva et les autres…” parle pour lui-même des autres anges de Sylvain Rifflet. L’entêtant “Alberico” est un hommage au troubadour italien. Un rappel bien sûr très demandé avec “Na”(de Casteldoza) ” du disque “Troubadours” sur un saxophone soprano terminera ce concert enthousiasmant à plus d’un titre: entente magique entre chaque musicien, mélodies envoûtantes, convocation d’anges inspirants présents ou non, avec cette impression unique d’assister à un concert qu’il ne fallait pas rater. La recette fonctionne toujours!

Je vous donne rendez-vous pour le Charlie Jazz Festival au programme extrêmement alléchant les 1°, 2 et 3 juillet dans un cadre enchanteur, que je vous invite à découvrir sur leur site internet. Merci à toute l’équipe qui m’accueille toujours avec un plaisir partagé.

Florence Ducommun, texte et photos

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