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Julius HEMPHILL “The Boyé Multi-National Crusade for Harmony”

LES COFFRETS D'APRES NOËL

“The Boyé Multi-National Crusade for Harmony”

Julius HEMPHILL

New World Records

Julius Hemphill s’est éteint à New York le 2 avril 1995. Comme nombre de défunts souffleurs de la seconde génération  du free jazz (Jimmy Lyons excepté grâce au superbe coffret publié par Ayler Records il y a une quinzaine d’années), on avait jusqu’ici peu réédité le natif de Fort Worth. C’est désormais chose faite grâce au saxophoniste Marty Ehlrich et au label New World avec cet indispensable coffret.

Celui qui fut l’un des meneurs du Black Artists Group de Saint Louis,  composa un opéra, fonda le World Saxophone Quartet (dont il fut éjecté en 1990) et fut le partenaire régulier d’Oliver Lake, Lester Bowie, Baikida Carroll, Abdul Wadud et des dizaines d’autres méritait qu’on lui rende enfin hommage. 

Le premier CD nous propose de découvrir trois formations différentes. La première réunissant Hemphill, Olu Dara, Abdul Wadud et Warren Smith a été captée à Toulouse le 6 décembre 1980 et nous offre déjà un aperçu probant du Julius Hemphill compositeur. Ici, l’esprit collectif n’est en aucun cas un frein aux interventions des solistes (sauvagerie maîtrisée du leader, épaisses arabesques du violoncelliste, claironnante vélocité du trompettiste). La seconde captation (23 novembre 1979 à Washington) met en scène Hemphill, Baikida Carroll, Jehri Riley, Philip Wilson et nous y découvrons un trompettiste très en verve et d’une justesse inouïe. Quant au leader, il affole les ultras-aigus de son saxophone soprano. Enfin, le 29 mai 1978 au Century Playhouse de Los Angeles Hemphill retrouve Carroll tandis que se joignent à eux John Carter, Roberto Miranda et Alex Cline pour quelques minutes de savoureux contrepoints.

Sommet de ce coffret (CD 3), The Janus Company + Abdul Wadud offre à l’auditeur de joyeux débordements : ceux du leader avec écarts vertigineux et phrasés saillants. Cet alto est celui de toutes les surprises. Tirades toujours sur le fil du rasoir et sautant d’une tendresse -toute relative- vers un déchaînement stellaire sans transition aucune, il est l’altiste de tous les possibles comme pouvait l’être l’oiseau Dolphy en son temps. Il en va de même du trompettiste Baikida Carroll, lequel ne perd jamais une occasion de convulser avec bonheur. Quant à Alex Cline, au jeu de caisse claire acéré et jouant parfois la surabondance (un injuste manque de reconnaissance pour ce percutant magnifique, allez savoir pourquoi…), il crée une sphère rassurante et motivante pour ses deux camarades. Un trio à l’accord parfait que vient compléter le violoncelliste Abdul Wadud dont il est grand temps de faire le portrait. De son vrai nom Ronald DeVaughn, Abdul Wadud est né à Cleveland le 30 avril 1947. Après de sérieuses études de violoncelle classique, diplômé du Conservatoire d’Oberlin et membre du New Jersey Symphony Orchestra, il découvrit le free jazz et celui d’Albert Ayler en particulier (Cleveland pardi !) et, dès lors, ne cessa de magnifier cette musique (Cecil Taylor, Muhal Richrd Abrams, George Lewis…) même s’il accompagna quelques vedettes mainstream en studio (Sammy Davis Jr, Barry White, Diana Ross). Archet épais et mordant, il est aussi un accompagnateur précieux signant de robustes walking bass (il est aussi contrebassiste) faisant ainsi le bonheur de Julius Hemphill pendant plus d’une quinzaine d’années. En témoigne le deuxième CD du coffret. En mode looping ou brillant guide et passant de l’un à l’autre dans une même pièce -et sans que son alter-ego en fut le moins du monde gêné- Abdud Wadud prouve que rien n’est impossible pour un improvisateur inspiré. Multipliant les axes et points de vue, il est le stimulateur idéal d’un Hemphill brisant ses phrasés en mille fragments, les portants hauts et loin. Ultra véloce, jamais à court d’inspiration, mélodiste très souvent, cet enregistrement nous restitue à merveille le Julius Hemphill improvisateur d’exception.

Des ennuis de santé l’empêchant de souffler dans ses instruments, les dernières années de Julius Hemphill furent consacrées à la composition, aux arrangements et à la direction. Ainsi le 5 décembre 1981 à New York (CD 4), il dirige John Purcell (hautbois, saxophone, clarinette) Marty Ehrlich (saxophones, clarinettes), Janet Grice (basson), Bruce Purse (trompette) et Ray Anderson (trombone, tuba) pour deux pièces aux multiples entrées. Alternance de consonances-dissonances, fugues et contrepoints, l’hautbois passe de la quiétude à l’étranglement. Ici, dans cette ruche bourdonnante et d’où s’évadent de sobres et tentatrices mélodies, le compositeur n’hésite pas à circuler entre rationnelle musique de chambre et fanfare exaltée.

Périlleuse est l’association poésie-improvisation. Comment ne pas surcharger son discours ? Comment ne pas empiéter sur le discours de l’autre voire le dissoudre ? Autant de questions maintes fois posées et rarement résolues. Avec K. Curtis Lyle, poète et membre de l’Original Watts Writers Workshop (il a entre autre rencontré une multitude de peuples dits anciens pour tenter d’en percer la sagesse et l’énergie spirituelle) et Julius Hemphill, l’équilibre semble trouvé (respirations, pauses,  diversité des phrasés) et sereinement partagé. Il en va de même avec Malinké Elliott, membre fondateur du BAG et percussionniste. Et dans les deux cas de figure, il s’agit bel et bien de dialogues enthousiastes (CD 5).

Diverses formations traversent le sixième CD. Il faut y voir –et y entendre- la fidélité du saxophoniste envers ses nombreux amis. Ainsi s’enchaînent be-bop acide et crispations harmoniques (Hemphill-Wadud-Michael Carvin), unissons resserrés et courtes explorations (Hemphill, Jerome Harris), ballades tantôt suaves (Hemphill-Jack Wilkins-Harris-Carvin) tantôt tendues (Hemphill-Nels ClineAlan JaffeSteuart LiebigAlex Cline). Soit quelques-uns des territoires fréquemment traversés par le saxophoniste-flûtiste.

Casting de luxe pour l’ultime CD : Julius Hemphill, Baikida Carroll, Dave Holland, Jack DeJohnette. Florilège de contrepoints et colloque serré entre alto et trompette, toms voyageurs, rapidement l’alto s’engage en vrilles sportives tandis que Jack DeJohnette met en branle sa quincaillerie percussive. Et c’est ainsi que caracolent en tête Hemphill et DeJohnette très vitre rattrapés par la prolixe trompette de Carroll. S’en suivent des improvisations audacieuses, soutenues, intenses. Ainsi s’achève ce court mais plus que jamais nécessaire voyage en Hemphillie.

Luc BOUQUET

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