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Un hiver à l’AJMI

Un hiver ajmien non moins chaleureux a fait suite à l’automne que j’avais relaté dernièrement  et malgré le froid et le mistral, les concerts se sont succédé avec autant de monde et beaucoup de jeunesse présente grâce à la programmation éclectique de son directeur Julien Tamisier. Voici donc les concerts auxquels j’ai assisté avec toujours autant de plaisir.

En janvier, c’est la tradition des Tea-jazz les dimanches après-midi, une excellente idée, privée cette année du thé et des pâtisseries toutes meilleures les unes que les autres amenées par les amateurs de l’Ajmi.

Dimanche 9 janvier, c’est la jolie et talentueuse pianiste Delphine Deau qui a ouvert la saison. Une grande première seule en scène avec une création originale pour cette artiste leader et compositrice du quartet Nefertiti. Toutes les pièces qu’elle a jouées sur un piano préparé soigneusement dans un silence quasi religieux, sont inspirées de compositions pour luth et voix de la Renaissance du joueur de luth anglais John Dowland (1563-1626). Une dernière pièce en rappel et moins de préparation du piano de son contemporain Robert Johnson intitulée “Have you seen the Bright Lili grow” a clos ce superbe concert en lévitation. A noter que pour cette dernière interprétation, Sting en a fait aussi une référence à travers son album “Songs from the Labyrinth” où il collabore d’ailleurs avec le luthiste Eden Karamazov. Une pianiste pleine de profondeur et d’inventivité, tête chercheuse qui va s’imposer très vite au sein de la nouvelle génération soutenue par Julien Tamisier!


Ce fut ensuite le pianiste Bruno Ruder en solo le dimanche 16 janvier  puis The Amazing Keystone Bigband Jazz délocalisé à l’Auditorium Jean moulin du Thor le dimanche 23 janvier dans «  We Love Ella » que je n’ai malheureusement pas pu écouter.

Dimanche 30 janvier, une nouveauté avec une lecture musicale, voire théâtrale d’une nouvelle d’Alain Damasio dans laquelle on retrouve tout son univers: “Les Hauts® Parleurs®” extraite de l’ouvrage “Aucun souvenir assez solide“. Surprenant au début, on se laisse ensuite envoûter par cet univers plein d’imagination, d’anticipation et de science-fiction assez prémonitoire. Les Hauts-parleurs sont un groupe de rebelles résistants de la langue de la zone 17 à Phoenix, Arizona, évoluant sur des vélos volants (les vélivelos) pour se réapproprier certains mots, car tous les mots sont sous licence auprès de la Wor(l)d Corporation. Au sein de ce groupe, le poète et anarchiste Spassky veut récupérer le mot “Chat” en pratiquant l’art du “monomonème” (utilisation d’un seul mot) source de jeux de mots infinis et ira jusqu’au suicide en prison en laissant ce simple testament: “Je donne ma langue au chat”.


Pour illustrer cette nouvelle jouissive en création originale, nous avons Maxime Le Gall en lecteur et orateur toujours passionnant qui appartient à la Compagnie Maâloum et le musicien multi-instrumentiste Olivier Germain Noureux, le second membre de la Compagnie Jérémy Cardaccia chargé de la mise en lecture étant absent pour cause de … virus. La liberté de parole de la nouvelle permet une liberté équivalente à cette conception musicale en improvisation permanente puisque dès l’entrée nous voyons tout un montage d’instruments à vent (tuba, bugle, trompettes arrangées) reliées à des tubulures en plastique accrochées au plafond. Olivier Germain Noureux se déplace dans une scénographie étonnante qui met en parallèle la voix puissante de Maxime Le Gall secondé parfois par le musicien, et le souffle des instruments utilisés. La Compagnie Maâloum basée à Avignon mais jouant principalement à Carpentras n’en est pas à son premier essai et promeut la littérature par cette voie (voix) poétique à laquelle les spectateurs plutôt nombreux ont réservé un accueil très chaleureux, pour peu que l’on soit sensible à l’univers particulier d’Alain Damasio. Ce qui fut mon cas et m’a donné envie d’aller plus loin dans la découverte de cet auteur!

Jeudi 17 février, c’est le Charley Rose Trio qui a joué, et très bien joué. Une belle énergie qui réunit le saxophoniste Charley Rose, le batteur Ariel Tessier et le pianiste Enzo Carniel. Elu un des quatre lauréats du dispositif Jazz Migration 2021, le trio a sorti son premier disque au titre reprenant simplement son nom en avril de la même année sur le label Déluge. Ce soir, Charley Rose empruntera un saxophone ténor au lieu de l’alto utilisé dans le disque avec intégration d’effets électriques, en exclusivité pour le public de l’Ajmi juste après la tournée à Bucarest le 18 janvier.


Un trio sans bassiste donc, qui se connait depuis plus de cinq ans, avec un saxophoniste extrêmement créatif faisant partie du Pit Dahm Trio (batteur, compositeur et multi-instrumentiste luxembourgeois passé à l’Ajmi en avril 2017), et un batteur et pianiste qui se commettent ensemble de leur côté dans House of Echo, que j’avais eu la chance d’écouter et photographier avec passion au Moulin à Jazz de Vitrolles en novembre 2020. Leur dénominateur commun? La prise de risques et les chemins de traverse comme ils nous le montreront ce soir dans leur concert avec un degré supplémentaire par rapport au disque.

Commencé avec “Arrête le temps“, le concert se terminera avec “If I Should Loose You“, standard de 1936 immortalisé en 1949 par Charlie Parker, merveilleusement décliné par le trio. Entre cette belle introduction et ce rappel incontournable, le trio étale sa palette de compositions originales comme autant de petites saynètes avec une certaine logique narrative. On passe de la balade romantique et nostalgique (“No sé como te llama“, “Polish Poem“) mise au goût du jour par l’électrification du saxophone et les effets de pédales, à l’humour d’un cow blues un peu barré (“Blues Vache“) en passant par le rythme acrobatique de “Porky “. Une bouteille remplie à bon escient devient dans la bouche de Charley Rose un rythme de chant pygmée introduisant “Pig’s Mess“. Ariel Tessier est un fantastique démiurge comme à son habitude avec un profil faunesque tandis qu’Enzo Carniel nous emmène sur le piano acoustique et son synthétiseur MS20 dans une succession de paysages sonores.

Au total, un triangle équilatéral parfait pour un vrai son d’ensemble très jouissif fort apprécié par un public à l’écoute attentive dans une salle comble. Ne manquez pas le trio à Vitrolles le vendredi 8 avril ainsi qu’au Festival des Cinq Continents à Marseille le 21 juillet.

Absente pour écouter les groupes Cabage le jeudi 24 février puis Nobi le jeudi 3 mars, c’est le jeudi 10 mars queje suis allée applaudir Think Big, quartet franco-américain de haute volée. Quel concert fantastique, fantasque en diable, libre et ambitieux! On y retrouve deux musiciens de l’excellent groupe Papanosh (lauréat de Jazz Migration 2013) et du collectif les Vibrants Défricheurs, le contrebassiste Thibault Cellier et le saxophoniste Raphael Quenehen, auxquels se sont joints suite à une rencontre il y a quelques années à Brest, le batteur Mike Reed de Chicago, membre de l’Association for the Advancement of Creative Musicians (AACM), puis le cornettiste Ben LaMar Gay, insaisissable figure de la scène jazz avant-gardiste de Chicago. Le quartet est créé en octobre dernier et c’est la seconde tournée de dix jours qui commence.


Un peu à la manière des rencontres The Bridge, nait de cette collaboration une musique furieusement vivante, recherchée, démultipliée qui se déroulera d’un seul tenant durant une heure avec une intro faisant penser de suite aux heures glorieuses de l’Art Ensemble of Chicago dans sa période quartette. L’accroche est immédiate. C’est à la fois barré et fichtrement jouissif, les musiciens se permettent tout, incantations du trompettiste qui se saisit aussi du tambourin comme sourdine, tape sur des cymbales et joue de la flûte, tandis que le saxophoniste embouche alto et ténor à la fois ou fait tournoyer un tuyau harmonique, puis secoue clochettes ou également tambourin. Une grande liberté où seuls contrebassiste et batteur maintiennent un (dés)équilibre parfait au bord du gouffre, toujours attentifs à leurs compagnons sans limite. C’est totalement fascinant et transgressif et ça fait du bien. Improvisations et ritournelles alternent donnant envie de chanter et de danser dans un répertoire forcément différent chaque fois.

Bref, ce fut une superbe folie transatlantique avec quatre belles personnalités complémentaires et un public qui à la fin en redemandait. Il fallait aller le lendemain à Vitrolles où le groupe se produisait au Moulin à Jazz avant de voler sous d’autres cieux. Un album est prévu l’an prochain. Ne les loupez pas s’il passe non loin de chez vous.

Enfin, le jeudi 17 mars, fascinée par la harpe et tout ce qui se cache de mystères derrière cet instrument millénaire et particulièrement sensible à ses sonorités infinies, je ne pouvais que me précipiter pour écouter quatre harpistes magnifiques dans tous les sens du terme. Une rencontre inédite entre trois d’entre elles qui jouent depuis longtemps ensemble et se déplacent de ville en ville en invitant une autre harpiste à se joindre à elles. En l’occurrence, ce sont Rafaelle Rinaudo, Hélène Breschand et Aurélie Barbé qui ont invité Mathilde Giraud, professeur de harpe au Conservatoire du Grand Avignon.


Le projet a été permis au départ grâce à “Marseille Concerts” qui avait donné carte blanche à Rafaelle Rinaudo en janvier 2020 pour une fête de la Harpe intitulée La Harpe Insoumise avec cinq harpistes dont également Hélène Breschand et Aurélie Barbé. Et ce sont bien quatre insoumises qui sont ce soir-là sur scène avec leurs harpes impressionnantes en éventail sur la scène. Deux harpes classiques amplifiées grâce à des pédales de guitare électrique et deux harpes électriques également augmentées pour quatre personnalités différentes et complémentaires qui bavarderont entre elles toutes, en duo ou en solitaire, partant de mélodies classiques comme Arabesques de Debussy jouée par Mathilde Giraud, revisitées ensuite avec une touche pop-rock, électro, jazz ou carrément improvisée et furieusement libre avec quelques textes déclamés par Hélène Breschand dont le jeu passionnel et très physique avec son instrument a impressionné nombre d’entre nous. J’avoue avoir été littéralement emportée en voyant ce que l’on peut sortir d’une harpe qui perd ainsi sa connotation d’instrument classique. On le savait déjà à travers une musicienne connue, Alice Coltrane, l’épouse de John Coltrane qui a commencé à pratiquer cet instrument à la mort de ce dernier et dont on retrouvera d’ailleurs quelques similitudes aussi dans ce concert avec en particulier le thème formidable de “Journey in Satchidananda” sur une idée de Rafaelle Rinaudo. la seule harpiste de cette folle soirée que j’avais déjà eu l’occasion d’écouter à de nombreuses reprises et que j’ai toujours fortement appréciée pour son audace.

Un rappel sur “Imagine” des Beatles a conclu ce concert incroyable et surprenant qui transporte dans un univers parallèle et dépoussière la harpe, ce qui n’a hélas pas été du goût de tout le monde.

La saison de printemps continue sans relâche jusqu’au 24 juin au club de l’Ajmi ou hors les murs. Le Festival Le Son des Peuples que je vous relaterai plus tard, porté par Naï No Production et soutenu par l’Ajmi, viendra l’entrecouper et s’y mêler.

Florence Ducommun, texte et photos

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